Dooz Kawa est un artiste aux chansons quelque peu mélancoliques. L’écriture se veut métaphorique et les instruments semblent tirer leur essence du fin fond des Balkans. Son rap, loin des clichés et proche du boom-bap, nous transporte dans un univers bien spécifique : une voix charismatique, des textes riches et des thèmes simples, abordés sous un angle singulier.

Dooz Kawa nous parle d’Amour et d’envies, d’état d’âme et de poésie, il nous apporte son point de vue et sa réflexion sur une société qui mériterait d’être remise en cause.

 

Zoom sur cet artiste qui se livre sans bouclier et nous offre sa perception du monde et de l’individualité, à cœur ouvert

 

Si vous deviez défendre une cause, laquelle serait-ce ?

Je ne sais pas… J’ai l’impression de défendre l’humanité, l’humanisme, le bon sens. Oui, je dirais l’humanisme. Ce n’est pas une cause, c’est en quelque sorte du bon sens, une intelligence profonde, mais qui n’est pas associée à une bannière.

 

Quelle est votre posologie du bonheur ?

Pour moi, le bonheur c’est vraiment ce qui importe parce que c’est le point de jonction qui lie toute l’humanité. C’est-à-dire que, même si tu n’aimes pas quelqu’un, tu sais que tu as un point commun avec cette personne: tu es à la recherche du bonheur, tout comme lui. Tous les humains se regroupent au moins là-dessus. On recherche tous le bonheur, c’est vraiment une quête de vie. Et par rapport au terme « posologie », je cherche toujours la pharmacie qui vend ça. Je ne l’ai pas encore trouvée. Pour moi, c’est une quête, je fais de la musique uniquement pour cette raison. Et je pourrais même dire que je vis pour cette quête: chercher le bonheur.

Mais bon… à force de chercher, tu finis par te perdre. C’est à double tranchant.

 

Quelles sont vos thématiques préférées, celles sur lesquelles vous aimez beaucoup écrire ?

Je pense que c’est l’amour, parce qu’on me le dit souvent. J’aime aussi écrire sur des phénomènes de société tels que la révolution ou l’injustice. Mais j’évite tout de même de trop parler d’injustice parce que c’est épuisant, ça déçoit de l’humanité, donc je préfère l’amour. De toute façon à part d’amour de quoi tu veux-tu parler ? Les humains ne vivent que pour ça.

 

Quel a été votre plus beau souvenir au sein de votre parcours musical ?

Ce n’est pas vraiment au moment des concerts… c’est plutôt les gens que j’ai pu rencontrer, ceux qui m’ont fait comprendre que je n’étais pas seul au monde. Des gens qui pensaient comme moi. Je ne dis pas qu’il faut penser comme moi, mais c’est vrai qu’ils avaient un processus de réflexion qui était proche du mien, et une sensibilité proche de la mienne. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris que cela ne servait pas à rien de faire de la musique. Et cela m’a servi notamment à ne pas me sentir à part.

 

J’ai entendu dire que pour vOus, il y a un moment dans la société où on est quelqu’un et un moment où on N’est plus que son ombre, peut-on en savoir plus ? Et, de ce fait, est-ce que vous considérez votre identité artistique comme une entité à part entière ?

Pour ma part je ne sais pas toujours qui est qui, lequel est en train de stimuler l’autre. Mais je pense que les gens ne font pas le distinguo entre l’artiste et l’humain en général. Ils ont tendance à s’approprier des morceaux, et, lorsque tu les rencontres, ils ont l’impression de te connaitre. Sauf que toi tu ne les connais pas, et c’est un peu un problème. Au-delà de ça, j’ai l’impression que les deux sont en train de se former, c’est une sorte de schizophrénie. Tu te dis, « c’est bon quand je sors de scène je redeviens moi », mais ce n’est pas vrai, tu ne le quittes plus jamais vraiment. Au bout d’un moment, ce personnage devient plus important. En fait, le truc c’est de savoir à quel moment cela devient dangereux ou pathologique ou une perte d’identité. Cela nuit à l’individu. Moi je ne sais pas encore qui est qui.

 

Mais au final qu’est-ce qui fait que ce personnage n’est pas vous ?

Au final, peut-être que j’ai toujours été ce personnage et que je me l’avoue de plus en plus. Au début tu fais un déni quelque part, c’est une sorte de protection psychologique, inconsciente. Mais si ça se trouve, on est ces personnages-là et on croit qu’on joue quelqu’un, mais en fait c’est simplement nous désinhiber.

Parfois, en tant qu’artiste, on se dit « Mais non je joue juste un truc ». Sauf que pour certains mecs,  et je ne donnerai pas d’exemples, les textes sont cohérents avec leur personnalité. Il y a une certaine logique. J’ai vu des mecs qui racontaient des saletés en disant « c’est mon côté artiste », mais dans la vie ils étaient quand même bien flingués.

En fait, je ne sais pas à quel point on est, ou pas, un artiste. À quel point on est, ou pas, un créateur qui assume la partie créative. J’ai vu ces mecs-là se faire emporter par leur personnage donc maintenant j’essaie d’être plus positif. J’essaie de faire en sorte que le Frank prenne le pas un peu sur le Dooz Kawa, que le Dooz Kawa fasse partie du Frank et qu’il soit assumé par lui. J’essaie de faire en sorte que, tous les deux on bosse ensemble et fasse des choses positives, pour nettoyer un peu notre karma aussi. En me disant « Je ne peux pas dire des choses à la légère, il y a des gens qui m’écoutent », je vais être clean, et dans ma vie de tous les jours j’essaie d’être clean aussi. J’essaie d’équilibrer la balance en fait. C’est peut-être rigolo ou naze ce que je dis, mais j’y crois quand même à tout ça.

Être artiste c’est mettre en exergue un sentiment profond ou une hypersensibilité. Si ton hypersensibilité est dirigée vers quelque chose qui est malsain, tu vas forcément renforcer ce côté-là et ça donne des asociaux terribles ou des mecs qui deviennent toxicos ou alcooliques. Je pense qu’à un moment il faut arrêter de se cacher derrière un personnage artistique et arrêter de te dénigrer toi et te dire « de toute façon j’ai le droit et je suis lui ». Je suis lui pendant quelques jours et après je reviens à ma vie normale. À un moment les mecs ne reviennent plus en arrière… et je les ai rencontrés ces gars-là. J’en fais d’ailleurs sûrement partie peut-être.

Je pense que ce sujet est  éminemment complexe et que c’est une sorte de dualité de l’âme à laquelle on est tous victimes. Sauf que lorsqu’on est artiste, on nous encourage à vivre d’autant plus cette dualité et à nous fondre dans un personnage.

Les artistes s’autorisent facilement à faire certaines choses dans la société parce qu’ils se disent « de toute façon on est encouragé à être désinhibé », ce qui les désociabilise complètement.

 

Pour revenir à Dooz Kawa et à vos apparitions sur scène, j’aimerais savoir si le format scénique que vous avez actuellement vous correspond ? J’ai entendu dire que vous alliez complètement changer de format.

Ha bon j’ai dit ça moi ? (rires)

Oui en fait, soit il faudrait prévoir un set qui est plus acoustique et plus intimiste, soit trouver un entre-deux. C’est ce qu’on est en train de monter. On est en train de voir si on ne peut pas rajouter un peu plus d’acoustique sur scène parce que finalement j’ai l’impression de quitter un peu la trame actuelle du rap. Avec mon équipe on a souvent fait des tableaux croisés avec d’autres rappeurs et on s’est rendu compte qu’en fait, quelque part, je ne suis pas un rappeur. Je ne sais pas si c’est lié au rap et à mon insociabilité…  Si j’avais été dans le classique, j’aurais été en dehors du classique et pareil pour le jazz. En fait c’est peut-être que j’ai quelque chose à régler avec moi-même et je n’ai pas à remettre en question tout le reste. C’est une première chose en général. Mais effectivement je partirais plus dans l’acoustique maintenant.

 

Est-ce que vous êtes prêt à abandonner vos titres les plus connus sur scène un jour ?

Oui absolument. Ça n’a plus de sens de garder ses vieux titres indéfiniment, cela a un succès immédiat, mais quelque part cela empêche de laisser la place à d’autres choses. Garder ses anciens titres trop longtemps dans son set c’est s’enfermer dans l’image que ces titres t’ont donnée. Donc, à court terme, c’est intelligent, mais à moyen et long termes je crois que c’est péjorant. Et si tu as un public qui vient pour un morceau, le plus célèbre, tu ne perds pas grand-chose à t’en débarrasser. Parce que d’un point de vue artistique, il vaut mieux remplir des petites salles et être face à un public qui va mettre le feu parce qu’il vient découvrir l’artiste.

Souvent, il y a un gap entre ce que les artistes ont envie de faire et ce qui est demandé, ou ce que l’on croit être demandé. Nous, on a des titres intimistes et on hésite à les faire sur scène. Au final ce sont ces titres qu’on nous demande tout le temps. On se dit, « pendant 3 minutes je vais être au micro et il ne va pas se passer grand-chose, parce que musicalement ce n’est pas très riche ». Mais les rockers ont fait ça avant nous. Les rockeurs, à un moment, ils arrêtent le set et se dédient à un slow, et ça passe très bien. Aujourd’hui on est dans un espèce d’archétype cliché où les gens doivent absolument lever les bras pour que cela soit un bon concert. Je n’ai plus envie de ça, et je ne sais pas faire ça, ça ne m’intéresse pas. J’ai envie de donner de l’émotion aux gens. Le panel des émotions est tellement vaste, pourquoi le seul qu’on exploite c’est celui où les gens vont rebondir et lever les bras ?

Parfois, pendant mes concerts, les gens regardent, ils fredonnent les paroles et ne bougent pas trop et quand je sors de scène pour discuter avec eux, ils me disent « Wouah c’était génial merci! » et ils ont écouté ! Et ça aussi c’est bien. Mais visuellement ça marche moins bien et Skyrock ne peut pas faire son beurre dessus avec le buzz des images, etc. Mais c’est justement tout le problème.

De toute façon, si nos modèles de sociétés en général étaient de bons modèles, ça fait longtemps que cela se saurait..

 

Pourriez-vous choisir un morceau et me l’expliquer de A à Z ? Comment l’idée vous vient, comment vous écrivez ensuite le titre ?

C’est compliqué parce que tous les modèles de création existent.

Un exemple concret serait « Histoire d’eau » par exemple.

Pour « Histoire d’eau » je lisais Bachelard « L’eau et les rêves ». Cela traite de l’imagination et de la matière, c’est de la métapoétique. C’est de la prose, un petit peu, mais très philosophique avec une approche protocolaire scientifique également. Et c’est assez paradoxal d’aborder le rêve avec un protocole qui n’est pas psychologique freudien, mais plutôt axé métapoétique philosophie.

Quand j’ai fini ce livre, on m’a envoyé un son, c’était à l’époque du 3.14. J’ai donc écrit « Histoire d’eau ». Ce morceau est sorti tout seul. Je l’ai écrit en une heure, j’ai vraiment été inspiré par Bachelard.

Mais j’en ai d’autres des titres comme ça. J’avais écouté « Seul » de Brel quand j’habitais encore en HLM. J’étais tout seul: ma nana de l’époque s’était barrée et avait emporté les meubles. J’étais vraiment tout seul dans un appart, assis par terre, et j’écoutais Brel en mode « wahou… ». À ce moment-là je me suis dit « C’est la loose et soit j’écris un morceau qui me permet de sortir quelque chose de positif de tout ça, soit je me mets une race gratuite et c’est tout naze ». Du coup j’ai écrit « Parker Charlie ». Et c’est pour ça que le sample qui tourne en boucle sur ce titre c’est la guitare de Jacques Brel. J’étais très heureux d’avoir écrit ce morceau. Cela m’a délivré en fait. Après j’étais libre.

 

Mais vous disiez auparavant que, pour vous, le rap n’est pas du tout une délivrance, que le rap  fait ressasser des émotions ?

C’est l’écriture en général qui n’est pas une délivrance. Il y a deux formes en fait. Soit tu estimes que c’est cathartique et tu es une sorte d’artiste fou qui doit faire sortir une énergie pulsionnelle qui doit être crachée sur une œuvre, ça, c’est cathartique. Ou alors tu es quelqu’un qui a quelque chose, une espèce de cafard qui marche à l’intérieur de lui, et tu es très cérébral. Tu veux en faire un objet de perfection et à ce moment-là tu vas vachement corriger les détails, tu vas revenir dessus deux cents fois, et puis après tu vas l’avoir en répétition, tu vas l’avoir pendant les concerts, après il faut aussi que tu le travailles en studio, etc. C’est en effet ce que je dis, et c’est la phrase de Fréderic Dard « Au lieu de chasser la tristesse on lui trouve un titre » et c’est ça qui revient tout le temps, effectivement.

Pour Parker Charlie, oui ça m’a délivré. Mais cela ne m’a pas délivré sur le coup. C’est comme faire une psychothérapie: ce n’est pas parce que, là maintenant, il y a un truc qui te fait mal, et que tu as réussi à le sortir que, au moment où tu le sors, tu es guéri. Non, c’est un processus qui est plus long, mais tu es passé au-delà de ton inconscient et ça c’est super fort, c’est une vraie décharge émotionnelle. Il y a un cap de douleur qui est à appréhender. C’est-à-dire qu’il faut que tu fasses la balance Bénéfices/Risques. Est-ce que le bénéfice que je vais en tirer par rapport à la douleur de la création vaut le coup ? Moi j’étais clairement déjà en bas donc cela ne pouvait que valoir le coup. Il y a plein de moments où je vais bien et maintenant c’est fini, je ne me force plus à retourner dans des processus de douleur parce que tu peux très facilement le faire, c’est très très simple. Tu sais, se noyer dans la mélancolie c’est très facile, mais il faut garder le bord en vue. Je dis ça, c’est vrai en partie, mais il faut savoir dans quel camp tu joues et quelle personne tu es à la base et quelle est ton hypersensibilité. Mais effectivement si tu vas bien et qu’à chaque fois tu vas rechercher la mélancolie, cela devient très dangereux. Dans le cas de Parker Charlie la mélancolie avait été apportée, donc je n’avais rien à perdre.

Maintenant j’ai des inspirations qui viennent tous les jours, je crée des bribes et puis parfois, arrive un thème qui fait que tout sort naturellement. Ou alors, parfois je me dis « Ce thème j’aimerais bien l’aborder, il est beau », et après je passe des mois à écrire dessus. Tous les processus d’écriture existent en fait.

 

Pour finir, si nous devions garder une seule phrase de vos textes pour vous définir, laquelle nous conseilleriez-vous  ?

Il y en a plein, c’est vraiment dur de choisir…

Je pense à « Le point de chute de l’arc-en-ciel », « l’étoile du sol » ou « Une hirondelle Twitter ne fait pas le printemps arabe » mais peut-être qu’au final je garderai celle-ci:

« Je ne cherche plus les monstres sous mon lit, depuis que je sais qu’ils sont en moi »

 

Nous remercions Dooz Kawa, Otaké Production et l’équipe du Moulin de nous avoir permis de réaliser cette interview.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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