Nous l’avions découvert à l’occasion de son passage à la Fiesta des Suds à Marseille, Il achève aujourd’hui sa tournée Française après avoir également scandé ses textes en Suède. Ses prises de positions et son énergie auront su charmer la jeunesse de France. Pourtant, Joey le soldat est à contre courant face au HipHop bobo bourgeois grandissant. Il fait ressurgir l’essence et l’âme de ce mouvement musical grâce à ses textes impliqués en mooré et français.
Qui prétend faire du rap sans prendre position ? Pas Joey, on l’a bien compris.

Aujourd’hui c’est à la Sirène que le rappeur burkinabé se produit, dans le cadre des nuits collectives des Francofolies de la Rochelle, une soirée 100% HipHop où le canadien Loud prendra la suite et où Sopico, Roméo Elvis et Bagarre s’ensuivront également.

Arrivée à la Sirène, je patiente face aux balances de l’artiste. L’énergie est là, la qualité sonore aussi. Le lieu est beau, les conditions semblent réunies pour que la prestation soit de taille. L’exigence est de mise pour les techniciens qui finalisent les derniers réglages: Un peu plus de basse, un peu plus de volume par-ci par-là et le tour est joué. Je rejoins ensuite notre acolyte dans la loge. Celui-ci, muni de son grand sourire et de son éternel sympathie, m’accueille et m’accorde une interview.

Bonjour Joey, voilà maintenant presque un an que je suis ton parcours et j’ai l’impression qu’on pourrait résumer ta carrière à un seul mot : Engagement. Es-tu d’accord avec cette vision des choses ?

Oui

 

Dans tes textes et projets, tu parles d’agriculture durable, tu te confrontes à Monsanto. J’ai également eu la chance d’entendre un futur titre qui parle de Lampedusa. J’aimerais donc savoir de quelle manière tu écris : si à chaque fois tu pars de causes qui t’impactent et comment tu combines cela aux instrumentaux ?

À la base, je m’inspire beaucoup de ce qu’il se passe, de la vie au quotidien. Je m’inspire aussi des nouvelles que j’entends dans les médias. Des fois, j’écris également pour donner mon point de vue sur la situation politique et plus spécifiquement sur celle du Burkina. J’essaie d’apporter un esprit critique face à la politique. Mais il faut que je vive les choses et que cela me touche avant que cela m’inspire et que je puisse écrire dessus. Si cela me parle, j’écris un titre.

Concernant les instrus, on me fait des propositions et je choisis celles qui me parlent le plus. Je fais une sélection.

 

Tu es un artiste politique, est-ce que tu as vu des impacts résultant de ton parcours musical ?

Faire de la politique, c’est partager ses idées donc pour moi faire du rap c’est faire de la politique. Il y a des idées que j’aimerais transmettre aux gens sans pour autant faire de la politique de politiciens ou du politiquement correct.

J’ai vu pas mal d’impacts depuis 2014 suite à mon album Burkin Bâ. Lors de l’insurrection dans mon pays, les gens reprenaient les titres de cet album. C’était assez costaud pour moi. Cela m’a prouvé que les gens avaient entendus mes propos. Je me suis demandé pourquoi ils avaient choisit pas mal de mes morceaux le jour de la marche de l’insurrection. Ça m’a vraiment touché. Cela m’a aussi permis de me faire connaître au Burkina.

 

Tu fais également des ateliers d’écritures. Tu en a fait récemment aux Lilas. J’imagine que tu en fais aussi au Burkina Faso. Peux-tu nous parler des divergences des thèmes abordés d’un pays à l’autre et de ce qui émane de la jeunesse de ces deux continents ?

Pour parler un peu des ateliers d’écriture que j’ai eu à faire depuis le début de ma carrière, que ce soit au Burkina ou en Europe, je dirais que ce qu’il en ressort c’est l’envie des jeunes de parler de sujets “sérieux”. On constate que les jeunes n’ont pas envie d’être cantonnés à une vision enfantine des choses. Ils ont envie d’aller plus loin, de partager leur point de vue sur la situation. Ils ont envie d’écrire sur des choses censées : nos sociétés, la solidarité. Certains avaient envie d’écrire sur le fait que les drames africains sont peu relayés dans les médias français alors qu’aux moindres mini-faits qui se passent ici, on en fait une montagne. Cela m’a marqué. Leur style d’écriture et leur implication me touchent. C’e sont eux qui seront là demain. Ils seront appelés à endosser certaines responsabilités donc c’est important pour moi de leur montrer une vision plus claire, de leur permettre de s’exprimer, d’extérioriser ce qu’il y a au fond d’eux. Ces jeunes, dans leur quotidien, ne prennent pas le temps de parler ou ont peur de parler, de s’exprimer, notamment face à leurs parents. J’ai connu cette situation aussi et c’est important pour moi d’avoir cette démarche. Je me retrouve en eux, que ce soit au Burkina ou en Europe. Les jeunes s’intéressent à l’inconnu et à ce qu’ils n’ont pas chez eux. Ils ont envie de parler.

Au Burkina comme sur Paris, les jeunes avaient également envie de parler de l’immigration. Au Burkina c’est parce qu’ils ont des frères et sœurs qui se sont engouffrés dans cette aventure et ne sont jamais revenus.

 
Est-ce que, sur ce sujet, tu as eu envie de confronter les points de vue de ces deux jeunesses? Est-ce que cela t’arrive de transposer ce qui a été écrit d’un côté à l’autre?

Pour l’instant je ne l’ai pas encore fait mais je crois que je vais le faire. Quand je rentre au Burkina au mois d’août, j’ai encore deux semaines d’écriture dans une ville à côté de Ouagadougou. Je dois travailler et écrire avec des jeunes alors cela peut être intéressant.

 

Est-ce que certaines fois les sujets abordés par les jeunes ont inspirés tes propos et ont été à l’origine de morceaux ?

Oui, il y a des propos qui m’ont inspirés. Quand je fais des ateliers, ce n’est pas forcément moi qui leur apprend des choses. En leur apprenant des choses, j’apprends avec eux. Des fois les jeunes sortent des mots que je n’aurais pas utilisés, pas dans ce sens.

Des enfants m’ont expliqué leur situation. Le passage d’orphelins à l’hébergement, en foyer, puis l’adoption. La rencontre avec des gens qui n’étaient pas forcément leurs parents mais avec qui ils ont vécu des situations fortes. Il y a un jeune qui m’a inspiré. Je me sens d’écrire sur ce type de sujet, faire du storytelling : l’histoire d’un jeune qui vient au monde, qui n’a pas de parents, qui passe par l’orphelinat et qui retrouve des bonnes personnes qu’il adopte et avec qui il se sent vraiment très bien. Lui, il a du mal à croire que ce n’est pas ses vrais parents. Voilà, c’est des petites histoires comme ça qui me marquent lors des ateliers.

 
Tu arrives à la fin de ta tournée, tu étais en Suède et en France, qu’en as-tu pensé et qu’en gardes-tu comme souvenirs ?

C’est ma deuxième tournée, il y avait celle en mars. J’en garde vraiment des bons souvenirs. J’ai eu des bons retours de la part des gens et des salles qui nous ont programmés. Ce qui a plu, c’est le fait que nous véhiculons un certain nombre de discours sur scène et que je n’enchaine pas uniquement de la musique. Je parle des thématiques que j’aborde et ça, ça a un impact. Les gens admirent mon combat. Quand je parle par exemple de mon combat contre Monsanto au Burkina, de ma vision de la souveraineté alimentaire, je constate que les gens, partout dans le monde à mes concerts, partagent le même point de vue. On peut faire de la musique pour vraiment transmettre des idées. C’est de la musique assez jeune, c’est du rap, et cela peut surprendre de me voir parler de ces thématiques, ce n’est pas vraiment attendu de nos jours. Donc vis-à-vis de cela on a de très bon retour. Je suis donc très content de la tournée qui est en train de s’achever.

 

Tu me disais la dernière fois que tu penses à ta cible avant d’écrire. Aujourd’hui tu es en train d’élargir ta cible, notamment en Europe. Est-ce que face à cet élargissement on trouvera plus de textes en français ou plus de traductions?

Oui j’élargis ma cible, et oui il y aura les traductions pour que les gens puissent aller plus loin dans l’écoute. Avec Tentacule Records on travaille dans ce sens. C’est important pour nous que les gens comprennent ce qui est dit. C’est pour ça que sur scène, en concert, je tiens à expliquer de quoi parlent mes morceaux. On travaille en ce moment pour que, sur le prochain album, il y ait toutes les traductions en ligne. C’est vraiment intéressant pour nous, et pour ce style musical, que les gens comprennent les messages et idées véhiculés.

 

 

Justement, puisque tu parles du prochain projet, peut-on en savoir plus ? Tu étais en studio il y a quelques semaines il me semble.

Le projet est en cours de finalisation, on y travaille encore. Il y a des surprises, pas mal de surprises sur ce prochain album. Je ne vais pas donner de noms mais il y a une légende du HipHop français qui a décidé de nous accompagner sur ce projet. Il a un groupe super connu depuis 98 et même avant cela. Il a fait des tubes et à tourné dans le HipHop français. Le fait qu’il accompagne un rappeur africain, je pense que c’est très beau. Nous, depuis l’Afrique, on s’est inspiré de ces artistes qui étaient là dès le début. On les écoutait. Aujourd’hui, le fait qu’il m’accompagne sur un projet, c’est vraiment super bien pour moi, c’est un honneur.

Il faudra en revanche attendre 2019 pour voir quelques trucs sortir et en savoir plus. La sortie du projet sera suivie d’une tournée avec Soyouz music.
Soyouz Music c’est le label, enfin la boite de booking qui a bien voulu travailler avec Tentacule Records et Joey le Soldat. Ils m’accompagnent sur les dates de concerts. Ils sont même venu voir comment je vis au Burkina, c’est un acteur musical impliqué qui a été interpelé pour le message.

 

Joey nous laisse donc dans le suspens à la fin de cette interview.
Peu de temps après, son concert commence. Il arrive à embarquer la salle comble avec lui, dans son flow poignant et ses mélodies partagées entre HipHop et Electro. Effervescence garantie, son pari est gagné: Joey et son batteur ont conquis une nouvelle fois la jeunesse française et ont rendu hommage au HipHop conscient.
Overbooké pendant cette tournée, il repartira le lendemain pour Bordeaux en vue de donner quelques ateliers d’écritures et un concert.

Sur le chemin du retour, je monte dans une navette dédiée aux professionnels des Francos. Le chauffeur me lâche “Moi je n’ai pas vu, mais il paraît que Joey, il a surpris tout le monde. Il parait qu’il est super cool en plus”.
Pas faux, le chauffeur ne se trompe pas !

 

Biographie de Joey le Soldat:

Biberonné au Rap US et français d’un côté et aux paroles des griots africains de l’autre, Joey le Soldat est petit-fils de tirailleur et fils d’un militant indépendantiste époque Sankara. En 2010, il sort diplômé en Lettres Modernes de l’Université de Ouagadougou et remporte le clash d’improvisation du festival Waga Hip Hop. Pendant trois ans, il enchaîne les petits boulots comme jardinier et donne des cours aux enfants de son quartier. Le samedi soir, il monte des sound-system. En 2014 – 2015, grâce au succès de son album « Burkin Bâ », la popularité de Joey le Soldat grandit en Europe (…Mais aussi notamment auprès de la jeunesse burkinabé qui renverse le président Campaoré à la tête du Burkina Faso depuis 1987 !). Joey devient dans le même temps « Ambassadeur de la Marche contre Monsanto ». Avec son flow puissant et un style unique qui mélange HipHop 90’s, électro et samples africains, Joey le Soldat revient aujourd’hui avec, BARKA, un nouvel album spectaculaire, taillé pour la scène.

 

Nous remercions l’équipe des Francos, de Soyouz Music, de La Sirène et bien évidemment Joey Le Soldat pour cette interview.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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