Ceux qui ne connaissent pas ont dû être coupés du monde pendant plusieurs années. Dub Inc c’est le groupe phare de reggae qui a mis tout le monde d’accord sur « RudeBoy ». Un groupe qu’on aime réécouter pour ses classiques, qu’on aime voir en live pour son énergie et ses performances scéniques, et qu’on aime redécouvrir à chaque nouvel album.

Et si dans la musique les groupes s’éteignent vite, au plus grand désarroi de leur public, Dub Inc fait exception. Depuis 1998 les membres sont les mêmes et l’ADN des 7 musiciens reste omniprésent dans la composition de chaque morceau. C’est certainement d’ailleurs leur point fort : puiser dans l’identité de chacun sa singularité et la partager au sein d’un même titre. Voilà pourquoi, à l’écoute de leur album, on oscille entre reggae, dancehall, musique kabyle et world-music. En 2019 Dub Inc a refait surface avec leur 7ème album, « Millions ». Cette fois encore, ils n’ont pas changé leur formule secrète, mais ils ne nous proposent pas la même recette !

Mais plutôt que de vous le présenter, laissons parler Zigo (Batteur) et Aurélien (Chanteur) !

Vous avez sorti un nouvel album en août 2019, de quoi vous êtes-vous nourris ces trois dernières années?

Zigo (Batteur) : Ces trois dernières années, nous avons beaucoup voyagé, donc nous nous sommes nourri de nos voyages, de nos tournées, de toutes les musiques que nous écoutons chacun individuellement, puisque nous sommes sept dans le groupe. Nous composons tous les musiques de l’album. Comme d’habitude, il y a beaucoup de reggae, beaucoup d’influences d’Afrique du Nord et de l’Ouest, du HipHop, etc.

Aurélien (Chanteur) : Dans « Millions » on retrouve un peu tous les sujets qu’il y a eu ces trois dernières années, que ce soit au niveau des questions migratoires, écologiques, les gilets jaunes, etc. L’actualité a été suffisamment riche.  On se dit chaque année qu’il n’y aura plus rien à dire mais, malheureusement, l’actualité nous rappelle qu’il y aura toujours des choses à dénoncer et raconter.

Et au Congo ou à travers vos derniers voyages, quels ont été vos plus beaux souvenirs, musicaux, mais également humains?

Zigo : Notre concert au Congo, à Goma, a été très marquant dans l’histoire du groupe, parce que c’est une zone de guerre, c’est une zone très compliquée. Humainement, sur place, on a rencontré des artistes qui nous ont beaucoup inspirés. En guise d’exemple, la pochette de l’album a été faite par un artiste local. Le concert a été très marquant.

Aurélien : Ça a été un voyage inattendu. On avait déjà été en Afrique de l’Ouest mais on ne connaissait pas l’Afrique Centrale. La situation du Congo était compliquée quand on y était. On a eu des émotions très fortes et des rencontres très fortes. Cela a débouché sur la pochette et sur pas mal de textes qui sont présents dans cet album.

Vous avez également effectué des workshops sur place. Peut-on en savoir plus ?

Zigo : Moi, par exemple, j’ai gardé contact avec un batteur sur place que j’essaie d’aider, mais pas que. On a essayé d’aller enregistrer une vidéo acoustique comme on le fait à chaque voyage. Là, c’était au bord d’un lac somptueux. C’est important de transmettre des images positives de ce genre d’endroit. On a fait des workshops, oui. Justin, celui qui a fait la pochette, on a essayé de lui laisser du matos sur place. Mais tout passe vite, c’est un inconvénient de notre métier. Et encore, nous on prend le temps. Notre manager est parti quatre jours avant nous sur place. Quand nous allons dans ce genre d’endroit c’est hyper important pour nous d’être connecté aux locaux. Donc on essaie de se faire driver sur place pour connaître la vraie vie. Mais c’est tellement court. On a du rester quatre jours à Goma. C’était condensé, mais intense. C’est un voyage qui nous a également fait passer par le Rwanda, on a eu l’occasion de visiter le mémorial du génocide. Pour nous, en tant que français, c’était intense, important pour l’histoire. En plus le Rwanda, sans parler du président lui-même, c’est quand même un exemple en Afrique de nouveau développement. On l’entend très peu, mais ils sont précurseurs sur l’écologie. Lorsque tu arrives à la frontière, on te vire tous les sacs plastiques, c’est interdit. Ils brident les voitures pour qu’elles ne puissent pas aller trop vite. C’est un vrai exemple dont on entend très peu parler. Ce voyage était très important dans son ensemble.

Comme vous êtes plusieurs, comment arrivez-vous à fusionner vos inspirations ?

Aurélien : On travaille ensemble depuis vingt ans. On a appris à s’écouter les uns et les autres et à se servir des aspirations des autres musiciens qu’on n’aurait pas. Par exemple, certains d’entre nous sont plus influencés par la musiques traditionnelle, africaine, orientale, par le HipHop, par le Rock et je pense que chacun dans le groupe est très ouvert à ce que peut amener l’autre, même si ce n’est pas son style musical. On est très attaché à toujours essayer de se surprendre les uns les autres au sein du groupe. Cela fait vingt ans qu’on travaille ensemble, mais on essaie de ne pas se reposer sur nos acquis. Même s’il y a des chose qu’on continue d’explorer en y allant plus profondément, on essaie toujours de faire des choses qui, entre nous, nous surprennent et qui, j’espère, surprennent le public. C’est une manière d’essayer de se renouveler et de s’amuser.

Zigo : Je pense qu’on a toujours su beaucoup communiquer et parler entre nous. Très souvent, nous ne sommes pas d’accord sur les choses et on ne trouve pas des consensus en deux minutes, mais on prend le temps de s’écouter et de se remettre en question. Si un album prend neuf mois en bossant tous les jours, c’est justement pour aller dans ce sens là. Tout le monde doit être content à la fin. Nous prenons le temps de retourner les sujets dans tous les sens. Les textes, même si c’est Hakim et Aurélien qui les écrivent, nous on passe derrière pour donner notre avis. Ils sont ouverts au fait que nous voulions changer des choses et, même si parfois, sur le coup, ils n’ont pas envie, au même titre que moi par exemple je n’ai pas envie de changer un arrangement de batterie que je trouve bien, je vais tout de même écouter l’avis de notre ingénieur du son. Sur le coup je vais dire non et deux jours plus tard je vais changer les choses. C’est quelque chose de global pour nous-mêmes, pour l’aspect business, les tournées, etc. On a toujours mis un point d’honneur à ouvrir les débats et parler. Au final c’est ce qu’il manque dans notre société d’une manière globale. On a du mal à écouter les autres.

Dub Inc c’est un groupe qui s’est toujours engagé. Vous avez toujours milité depuis vos débuts. À l’époque vous disiez « Nous n’avons pas besoin de médiatiser ce que nous faisons ». Là, vous avez sorti un titre pour SOS Méditerranée, vous avez ressenti le besoin de communiquer dessus ?

Aurélien : Comme tu dis, on est toujours un peu gêné de communiquer là-dessus. On a toujours peur que l’on nous reproche de faire ça pour communiquer, et il n’y a rien de plus sincère quand tu le fais sans en parler directement. Mais on s’est aussi rendu-compte qu’on n’avait peut-être pas assez communiqué sur ce qu’on faisait. Finalement, notre public est prêt à nous suivre sur certaines idées. Pour SOS Méditerranée, concrètement, la mission de cette association c’est la communication : expliquer ce qu’il se passe en mer, comment sont gérés les personnes sur les bateaux, comment on les laisse mourir. Il y a aussi beaucoup de mensonges sur SOS Méditerranée. On essaie de nous faire croire qu’ils bossent avec les passeurs. C’est important pour nous de mettre un coup de projecteur positif sur eux. La médiatisation était importante.

Mais on continue de faire plein de choses. On soutient un orphelinat au Burkina, on suit des élèves au Bénin, on fait aussi des choses très locales chez nous : on suit un enfant qui a une maladie orpheline et dont les parents n’ont pas les moyens d’envoyer en traitement. Ce sont des choses que nous continuons à faire, mais qui, selon nous, ne méritent pas qu’on en parle trop. Je pense que si les gens cherchent un peu sur les réseaux et écoutent ce qu’on raconte, ça se voit ! Je pense que l’idéal est un mélange des deux, notamment avec SOS Méditerranée, car tout le monde n’était pas conscient de leur travail.

Nous sommes à la Fiesta des Suds à Marseille. Vous êtes venus il y a trois ans. Nous parlions d’SOS Méditerranée et Marseille est un port également. Cette ville vous ressemble aussi, même si vous venez de Saint-Etienne ?

Aurélien : On vient d’une ville très similaire à Marseille dans l’organisation. Le centre-ville de Saint-Etienne est très populaire, comme ici. C’est une ville de travailleurs, d’immigrés. Nous on se sent très à l’aise à Marseille. C’est une de nos villes préférées et nous sommes contents d’être là. Le public marseillais nous a toujours bien accueilli et a toujours bien compris notre musique.

Vous entamez une tournée que vous commencez avec la Fiesta, jusqu’à la fin de l’année. Peut-On savoir comment ça se passe la vie en tournée pour un groupe comme le vôtre ? Cela doit être très sportif ?

 Zigo : C’est sportif effectivement.

Aurélien : On fait beaucoup de dates sur un temps assez court. En fait nous avons toujours fait ça, même à l’époque où nous étions beaucoup moins reconnus sur la scène française, nous avons toujours beaucoup joué. Dès la naissance du groupe on n’a pas hésité à prendre un camion, mettre une sono dedans et partir en Bretagne et je ne sais où chercher des dates. On joue énormément, mais c’est une gymnastique qu’on connaît déjà bien. Il y a des moments où c’est sportif, mais on a la chance de bien s’entendre. Grâce à notre fonctionnement en indépendant, on organise les choses comme on le souhaite. Cela nous permet d’être un peu plus confortable.

Zigo : C’est sportif mais on ne va pas se faire plaindre. On a galéré au début, on a travaillé à l’usine parce qu’on ne gagnait pas notre vie avec la musique. On sait ce que c’est que de galérer au travail. Donc on ne va pas se plaindre d’être fatigués. C’est sportif et c’est du bonheur. Comme il dit, nous sommes toujours en indépendants vingt ans après, on organise les choses comme on veut. On peut rentrer deux-trois jours par semaine, voir nos familles. Quand on joue, les gens sont sympas avec nous, nous applaudissent, on fait la fête, c’est un sport pas franchement désagréable, c’est du bonheur ! En plus nous sommes entraînés, comme il dit. Cela fait des années qu’on fait ça. Il faut gérer les temps de repos un peu comme les sportifs. 20 ans après, on est les mêmes potes, on est une famille. On connaît des musiciens indépendants dont les équipes ne sont pas soudées : On t’appelle, tu joues, on te paie. Nous on vit une histoire que nous n’aurions même pas rêvée.  On fait le tour du monde, on joue dans des grandes salles, de grands festivals. On n’a même pas le problème de surmédiatisation. Globalement, les médias mainstream s’en foutent, et nous on s’en fout, donc on n’a pas de problème dans la rue. On ne nous reconnaît pas.

Aurélien : en gros, c’est sportif, mais c’est bien !

Comme vous êtes une famille, on aurait bien aimé faire un focus sur chacun des membres et savoir qui a le rôle un peu de papa, qui a celui du médiateur, etc. ?

Zigo : Bah, le chef c’est moi (rires).

On ne peut pas détailler sept caractères comme ça, mais je pense qu’on a tous des caractères assez forts. On a tous ce truc d’ouverture. Après, dans toutes les équipes, il y a ceux plus zen, ceux plus excités, mais on ne va pas faire un focus sur chacun, ce serait trop long. On n’a pas tous la même vision des choses en plus. Mais ce qui est important est là où nous représentons la société en général, c’est qu’on vient tous d’un milieu socio-professionnel très différent : populaire, plutôt aisé, etc. Pareil, géographiquement on a tous des origines différentes : une d’origine béninoise, deux algériens, moi je suis d’origine grecque. On a tous des goûts vraiment différents. Et pourtant on arrive à communiquer, à faire des choses très positives. Ça fait vingt ans qu’on est ensemble et qu’on communique pour avancer. On ne prétend pas être l’exemple absolu, mais on pourrait être l’exemple de ce que pourrait être la société si les gens étaient un peu ouverts. C’est notre message principal, le métissage et l’acceptation de l’autre.  Pour nous, c’est le message qu’on essaie de faire passer depuis vingt ans.

Et justement, depuis vingt ans, chaque album a la patte de Dub Inc, mais pourtant il y a toujours une nouvelle touche. Comment vous y prenez-vous ?

Aurélien : Comme je le disais tout à l’heure, on essaie de ne pas se reposer sur nos acquis. C’est important, mais pas uniquement pour le public, c’est avant tout pour nous-mêmes : pour s’amuser, se surprendre. Pour trouver cette nouvelle patte, nous sommes beaucoup à l’écoute de ce qu’il se passe. On écoute la musique du moment, les différentes choses qui innovent, selon nous, et on essaie d’aller piocher là-dedans des éléments qui nous aident à renouveler notre son, tout simplement.

Mais après, on retrouve aussi tout ce que nous avons toujours aimé faire : un petit morceau en Kabyle, un plus traditionnel. Des choses plus électro, des choses qui se tournent plus vers le HipHop, ou plus Roots. Sur les thématiques, on essaie de changer un peu. Par exemple sur le dernier album, « À tort ou à raison », ce sont des textes introspectifs qu’on n’avait jamais tentés, osés. Nous ne parlions jamais de nous-mêmes comme ça. L’écriture de « On est ensemble », ce sont des méthodes d’écriture qu’on n’avait jamais vraiment explorées. Il n’y a pas vraiment de thématique unique, mais plein de thématiques explorées au long du morceau. C’est par des petits points comme ça que l’on essaie de trouver le renouveau à travers chaque album.

Quels sont vos objectifs aujourd’hui?

Aurélien : Déjà, de faire la tournée de cet album, c’est avec ça qu’on attaque. Franchement, après 20 ans, on a la chance d’avoir atteint un certain équilibre avec notre label. Il y a déjà pas mal d’objectifs qu’on a atteints, comme être là après 21 ans. Maintenant on veut continuer à se faire plaisir, à aller à la rencontre de gens et de pays, et se servir de la notoriété qu’on a pour servir différents combats.

Zigo : On avait peu d’objectifs au démarrage puisqu’on ne connaissait rien à la musique. On n’a jamais cherché à être un groupe énorme. On laisse couler les choses et on suit nos envies musicalement et humainement. On rencontre les gens qu’on a envie de rencontrer.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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