Connu pour ses textes engagés, sa voix puissante et énervée, ses albums emplis de storytelling et ses réactions quelque peu provocatrices face à l’actualité, Médine n’a cessé de faire parler de lui dernièrement.
Son clip « Don’t laïk » est sûrement le morceau de l’artiste ayant engendré le plus de polémiques. En réponse aux dires des personnalités françaises à son égard, et en toute suite logique à ses précédents albums, le rappeur havrais a sorti « Démineur », EP de 10 titres. La sortie de cet album a été suivie du DémineurTour, tournée atypique actuellement en cours et ayant lieu au sein d’un camion transformé en salle de concert ne pouvant accueillir qu’une cinquantaine de personnes. Dirigé par l’artiste et par l’équipe de DIN Records, ce camion arpentera les routes françaises encore un petit moment, s’arrêtant dans un grand nombre de villes.
À l’occasion du passage de celui-ci à Marseille, ExtendedPlayer a souhaité rencontrer cet artiste sensible aux actualités du monde, acteur d’un hip-hop fidèle à celui des années 80, artiste qui n’a pas oublié qu’on ne prétend pas faire du rap sans prendre position.
Interview :
Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le rap et nous faire part de vos motivations initiales ?
J’ai commencé j’avais à peu près l’âge de treize ans, aujourd’hui j’en ai 32. Donc cela fait bientôt une vingtaine d’années que je rappe. Mes motivations au départ étaient purement passionnelles. C’était par passion, parce que j’aimais cette musique, que j’ai décidé de rapper. Je consommais déjà beaucoup de rap en tant qu’auditeur. Et puis c’était vraiment la passion de s’essayer à sa propre passion. Et de fil en aiguille on se rend compte que le copain du quartier fait la même chose. On commence donc à faire un groupe. Et puis, puisque d’autres potes font la même chose, pourquoi ne pas faire un collectif ! Voilà une histoire assez traditionnelle, qui pourrait paraitre platonique si j’en écrivais les grandes lignes, parce qu’au final je continue de travailler aujourd’hui avec les mêmes acolytes, les mêmes personnes avec qui j’ai commencé. Donc voilà, cela a vraiment commencé par passion.
Passion par rapport à quoi ? Qu’est-ce qui vous plait tant dans le rap ?
C’est la sonorité, c’est les mots. Je parle vraiment du rap d’il y a 20 ans, de sa sonorité, de ses mots, de l’attitude, de l’imagerie. C’est toute cette culture qui est arrivée en France dans les années 80 qui me passionne. Moi je la découvre vraiment dans les années 90. Je me mets à la pratiquer dans les années 90. Donc c’est tout l’emballage et même le contenu en fait. Tout me séduit. En fait, je transpirais le rap avant même de le découvrir. À l’époque, je me suis rendu compte qu’il y avait des gens à quelques millions de kilomètres de mon petit quartier du Havre qui ont mis un mot sur un mode de vie que l’on vivait déjà.
Quels sont les combats qui vous tiennent le plus à cœur aujourd’hui ?
Aujourd’hui ce serait la lutte contre le terrorisme intellectuel, contre les formes d’oppressions intellectuelles. Je crois qu’on est pollué par un certain nombre de polémistes, de populistes, d’idéologies, qu’elles soient politiques, qu’elles soient religieuses, ou qu’elles soient culturelles. Je crois qu’il y a une espèce de terrorisme intellectuel qui s’exerce sur notre génération qui est de plus en plus oppressée. L’un de mes combats auquel je tiens beaucoup actuellement c’est de s’émanciper de ces discours-là.
Avez-vous réussi à l’heure actuelle à réaliser un de vos rêves que vous aviez jeune en débutant dans le rap ?
Oui. Devenir indépendant, être un véritable indépendant sur le plan juridique et sur le plan intellectuel. Je voulais avoir une véritable indépendance de paroles, d’esprit, de déplacement, d’action. Avoir une véritable indépendance, c’est une volonté que j’ai depuis très longtemps et que je commence à toucher du bout du doigt aujourd’hui.
Quel est le but visé par le Démineur Tour et quelles évolutions sont prévues ?
Le but de cette tournée c’est de réduire l’écart qu’il y a entre les artistes et le public, d’avoir une certaine proximité avec les gens, de retourner là où le rap est né, à savoir, dans la rue. C’est pour cela qu’on a décidé de se déplacer en camion et de stationner à des endroits qui sont un peu insolites, en dehors des salles de musiques actuelles, en dehors des endroits traditionnels qui accueillent habituellement la musique. Pour moi, cela a son sens ne serait-ce que dans le symbole qui est de ramener cette musique là où elle est née pour lui redonner son sens et son essence. Cette dynamique permet d’être au service d’une parole, de se rendre utile. Même si ce n’est que du divertissement, cela peut avoir une grande utilité dans une époque où le repli est de plus en plus en vogue. Le but est de réduire cet écart qu’il y a entre les gens, de matérialiser aussi, de dévirtualiser. Car aujourd’hui tout est virtuel. Les réseaux sociaux permettent de tisser des liens entre nous, mais les virtualisent. Et là il n’y a pas de tricherie dans le camion concert. Il n’y a pas de lumière. On regarde les gens dans les yeux, ce qui est à mon sens l’un des chemins qui mènent au cœur et à l’intelligence. On ne peut pas se cacher dans les coulisses. Voilà, c’est vraiment du rap pur, c’est du réseau social pur et du lien pur. Revenir un peu à cet état d’esprit-là, c’était mon but avec le Démineur Tour.
Et donc à quoi correspondra le second tour ?
J’espère que l’on passera d’un camion concert à un camion concerné, que l’on sera dans un véritable engagement politisé. Moi je n’ai pas peur du terme même si aujourd’hui c’est devenu un espèce de repoussoir. J’ai la prétention de faire de la politique au sens noble du terme, c’est-à-dire, devenir utile, se rendre utile, tenter de se rendre utile. Pour moi, c’est déjà être dans une démarche politisée.
Et donc passer de camion concert à camion concerné cela veut dire éventuellement ouvrir la scène à des artistes locaux lorsqu’on se déplace, et pas uniquement des rappeurs. Cela pourra être des humoristes, la scène du stand-up. Je voudrais être dans cette démarche où le propos, ou plutôt la culture, redevient le moyen de véhiculer des messages et des idées.
Ce second tour sera-t-il lié à des associations ?
C’est déjà le cas. Dans chaque ville où l’on se rend, on est lié à une association très engagée culturellement. Ici par exemple, à Marseille, c’est l’association l’Affranchi. Et donc on essaie de tisser une sorte de réseau avec les associations pour mettre tout le monde en lien. On souhaite créer une véritable dynamique à l’échelle nationale. On souhaiterait initier ça, avoir une véritable base de données, une force de la culture urbaine. Je n’aime pas trop ce terme de « culture urbaine » parce que c’est un peu politisé aujourd’hui, pour ne pas dire du rap. Mais, il faudrait que les acteurs de ce mouvement-là puissent aujourd’hui peser sur l’échiquier politique en France. Je crois qu’avec dix rappeurs on peut aujourd’hui mettre sur pied une charte, on peut faire pression sur un gouvernement ou un autre, sur un ministère ou un autre, pour impulser dans un domaine ou un autre. Si ça peut être le début de ça, et bien c’est un peu mon intention.
En dehors du second tour du Démineur tour, avez-vous d’autres projets en parallèle ?
Oui, je suis sur un album. Je suis forcément sur un album ! Je prends un peu toutes les vapeurs du dernier projet que j’ai sorti, le EP Démineur sorti au mois de mai de façon un peu intempestive sans trop d’effet d’annonce. Je prends un peu les remarques, les critiques, que les gens peuvent me faire sur les routes justement de ce Démineur Tour. Et, je vais tenter de les transposer dans ce futur album pour voir ce qui a bien fonctionné, ce qui plait, ce qui plait moins, ce qui effraie plus. Et ce qui effraie le plus, je ne vais pas m’arrêter de le faire. Je vais peut-être transgresser encore un peu plus loin parce que selon moi c’est là que c’est intéressant. Musicalement et même en terme d’engagement, s’il y a des appréhensions sur un sujet sans trop d’arguments, il faut que je mette les pieds dans ce plat-là.
Pouvez-vous donner votre point de vue sur un problème ou une actualité que vous n’avez pas encore traité dans vos chansons ?
On peut parler de la crise de l’émigration par exemple. Ces migrants mettent à nu notre propre hypocrisie, je pense. Suite à ces dernières photos, on s’est tous indignés en masse face à ces événements de l’après-Charlie Hebdo. Lors de la manifestation du 11 janvier, on a vu toute la planète unie, tous les puissants de ce monde unis, tout Paris et son agglomération unis. Je précise bien parce qu’il ne s’agissait pas d’un élan national aussi poussé comme on a voulu le faire croire. Il y avait de la nuance et c’était beaucoup plus mitigé. Loin du débat polarisé Charlie ou pas Charlie, il y avait des gens qui était beaucoup plus sur la réserve sur ce débat-là. Donc on est loin de tout ça et cette crise de l’immigration nous met face à cette responsabilité aujourd’hui, qui nous interroge nous-mêmes sur notre altruisme. Qui nous interroge sur où est-ce qu’on en est nationalement parlant, oú est-ce qu’on en est face à ces grandes valeurs-là. Voilà, chacun aujourd’hui se positionne à une espèce de réaction épidermique face aux images et puis retourne dans son train-train quotidien, et puis repart comme si de rien n’était. Je crois qu’une véritable interrogation nous vient de l’extérieur. Souvent on parle d’introspection, que la France a besoin de retrouver son identité nationale. Je crois que l’immigration est la meilleure question qui ait été posée depuis pas mal de temps à l’identité nationale française.
Idéalement, si vous pouviez mettre en place une loi, ce serait laquelle ?
Je ne vais pas essayer de trouver un truc pompeux, mais je dirais l’enseignement du fait religieux dans les écoles. Et je rajouterais même, l’enseignement des différents courants politiques. Ce serait pour que l’on comprenne mieux, qu’on vive mieux ensemble, et qu’on se comprenne mieux.
Et si vous aviez un seul conseil à donner à votre public, lequel serait-ce ?
C’est celui que je me donne, se rendre le plus utile aux autres, à sa propre famille, à sa localité, à sa municipalité, et puis d’aller le plus loin possible dans cette volonté de se rendre utile.
Suite à cette interview, ExtendedPlayer s’est rendu à la deuxième session du Démineur Tour à Marseille. Le show a été largement supérieur aux attentes. Après deux semaines de répétition, Médine et son équipe ont réalisé un concert de qualité, bien maitrisé, engagé et engageant. Les cinquante participants, incluant le rappeur RedK, ont pu assister à une heure de musique entrecoupée par de brèves interpellations et interrogations. La forme et la motivation démonstrative des artistes a su toucher et bousculer le public. C’est, à ce jour, un des meilleurs concerts de rap français vu par Extendedplayer, bien loin de ceux où les rappeurs passent plus de temps à demander des « woyooo » et des « bras en l’air » qu’à rapper.
Extended Player remercie Médine et l’équipe de DinRecords pour cette interview.
Léa Sapolin
CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :
- Rédactrice en chef adjointe et webmaster d'Extended Player. Amoureuse du rap français et des bonnes punchlines, je pilote la section rap du mag depuis que j’ai 11 ans (oui, déjà !). En parallèle, je suis communicante freelance et chef de projet web, avec une expertise en e-commerce. Toujours connectée, toujours à l'affût des sons qui parlent et qui touchent !
DERNIERS ARTICLES DE L'AUTEUR:
- Événements - Festivals21 novembre 2024Médine à l’Espace Julien : une introspection acoustique et incisive
- Chroniques disques9 novembre 2024La Haine en comédie musicale : une plongée immersive et contrastée au cœur du Dôme de Marseille
- HipHop - Rap19 septembre 2024La Musique et l’Engagement : Un Voyage à Travers l’Art selon Gaël Faye
- Événements - Festivals12 septembre 2024Warend : Une Prestation Puissante et Marquante sur le Vieux-Port de Marseille
Commentaires