Hippocampe, nom masculin 1.Animal mythique moitié cheval, moitié poisson. 2.Petit poisson de mer (syngnathidé) qui nage en position verticale et dont la tête rabattue contre la gorge rappelle celle d’un cheval.

Hippocampe fou, être masculin 1. Artiste au discours poétique et métaphoré parcourant des univers bien distincts tel que l’eau, le ciel et la terre

Connu pour son approche originale et ses clips tant imagés que déjantés, Hippocampe fou dit qu’il fait de la « Chanson rappée ». À l’initiative d’une trilogie d’albums hors du commun, il est venu présenter son dernier Opus à Marseille, à l’Affranchi.

Sur scène, Lucas Dorier prend en main les percussions, la MPC et le clavier. Max Pinto se dote d’une contrebasse, de sa guitare et certaines fois de son saxophone. Hippocampe quant à lui, agrémente la rythmique avec son flow fluctuant et son énergie positive et entrainante.

L’interlude donne le ton, puis les titres s’enchainent. Le storytelling est de la partie, « dormons-nous ? » Non ! Hippo amène même des titres plus « Zouk-ragga » et fait bouger les têtes. Le public chantonne et se prête au jeu. Dans la salle, tout le monde adhère et saute à pieds joints dans l’univers du personnage. Que ce soit dans son rap aquatique, dans ses textes un peu « lunaires » ou au beau milieu de ses origines latino-américaines, le mec nous transporte. On ne se demande plus pourquoi il fait salle comble!

En amont de sa prestation scénique, Hippocampe fou est venu répondre à nos questions. Bavard et cordial, Hippo se classe dans notre top cinq des artistes les plus agréables à interviewer.

 

Vous avez toujours des textes très imagés. Ainsi, pouvez-vous vous présenter par le biais d’une métaphore?

Wouha… c’est dur comme question ! (Temps de réflexion). Il faudrait peut-être que je me pose trois heures dans les chiottes pour y répondre (rires). Je dirais que je suis un lilliputien gargantuesque. Ce n’est pas une métaphore, c’est plutôt de l’ordre de l’oxymore.

« Lilliputien gargantuesque » parce que j’ai l’impression d’être un tout petit enfant qui, des fois, essaie de jouer l’ogre et de faire des grosses voix. Mais dans le fond, je reste un petit bonhomme un peu timide qui se fait piétiner par le monde. Je suis plutôt timide et taciturne dans mon quotidien, la scène me permet de devenir un ogre.

 

Pouvez-vous nous raconter votre premier coup de foudre avec la musique ? Nous aimerions également savoir pourquoi vous ne vous êtes pas tourné vers le cinéma.

Mon premier amour avec la musique c’était justement via le cinéma : la musique de film. J’ai pris goût à la musique plutôt classique : Bernard Herrmann, John Williams, Prokofiev aussi, qui a bossé avec Eisenstein.

J’adorais la musique de film et mon père était musicien donc j’ai toujours aimé la musique. Je me suis rendu compte que je pouvais, via l’écriture, via la chanson, via le rap, raconter des histoires comme on le fait dans les films, mais à moindre coût. Et ça demande moins de temps, moins de moyens. Aujourd’hui c’est quand même plus facile de sortir une chanson qu’un court-métrage.

J’ai peut-être commencé par facilité, et petit à petit c’est devenu une passion. La découverte du spectacle vivant, le fait de performer devant des gens qui renvoient une énergie, c’est devenu une drogue pour moi. Et quand on a gouté à cette drogue, c’est dur d’arrêter. J’essaie petit à petit de revenir vers le cinéma, mais plutôt via le spectacle vivant. Parce que ce côté scène est trop important.

 

Pouvez-vous nous présenter « Terminus », votre dernier album?

C’est mon troisième album. C’est la fin d’une trilogie. Le premier album se passait dans l’eau, le second dans le ciel, et le troisième sous terre. C’est un peu le cycle de l’eau : l’eau de mer qui s’évapore pour former les nuages, il pleut, ça retombe sur terre et ça passe juste à côté de mon terrier.

Ce troisième album se passe dans mon terrier. Ce terrier, pour moi, c’est une espèce d’allégorie de ma pensée, du cerveau, de mon esprit. C’est cet endroit dans lequel on réfléchit à soi-même et au monde qui nous entoure. C’est donc assez propice à l’introspection.

J’aurai pu appeler l’album « Mon terrier », mais je l’ai appelé « Terminus » parce que je trouvais que c’était assez intéressant de souligner cette fin de trilogie. Il y a aussi une sorte de rébus avec la pochette de terminus « tout le monde descend ». À la fin de sa vie, souvent, on finit sous terre. Dans mon cas cela avait plutôt le sens d’un Nouveau Monde à explorer qui se situe sous terre, une incitation à venir creuser dans mon terrier !

 

 

Du coup, vous aviez pensé les trois albums dès « Aquatrip »?

Non, cela s’est fait progressivement.

Pendant pas mal d’années, suite à Aquatrip j’ai essayé d’expliquer à tout le monde ce qu’était le rap aquatique. C’était une appellation que j’aimais bien. Cela m’a permis d’attirer l’attention puisque les gens me demandaient ce que c’était et me disait « C’est chelou ton truc, t’es un aqua-rappeur alors ! ».

J’ai réussi à justifier tout ça et je me suis dit que je ne m’étais pas fait chier pendant toutes ces années à défendre le rap aquatique pour ne pas aller au bout du délire.

En revanche, je n’avais pas envie de rester dans l’eau et de rester un hippocampe pour toujours. Donc je me suis dit que cet Hippocampe, il a des petites ailes, et il se barre dans les nuages !

Et là, pour cet album, il retombe sous terre.

En fait, quand il descend l’échelle cela l’amène sous terre. Petit à petit il se transforme en Rat-taupe nu. Cela devient mon nouvel avatar. Ça pourrait être mon nouveau blaze mais c’est compliqué de changer de nom. Le Rat-taupe nu me fascine incroyablement. Tout comme l’hippocampe au moment où j’avais choisi ce pseudo.

 

“Terminus” est un album plus personnel, a-t-il été plus dur à écrire?

Il a peut-être été un peu plus long. Pas plus dur, mais plus long dans le sens où quand on cherche vraiment la justesse dans l’émotion, la précision, le mot qu’il faut, cela me prend plus de temps.

Faire des rimes, faire sonner le texte avec des assonances et des allitérations, c’est quelque-chose que je fais depuis des années, c’est presque mathématique, c’est juste des placements.

Mais quand je cherche le bon mot, il faut que j’aie l’impression que je ne trouverais pas meilleur mot. Donc je cherche, je me prends la tête, je cherche le mot parfait ou le mot qui va vraiment déclencher ce mécanisme qui fait qu’on a les poils qui se hérissent.

J’ai mis du temps à faire cet album mais c’était thérapeutique. Pour autant ce n’était pas dur, à l’inverse cela m’a fait du bien. Ça fait du bien d’écrire certains morceaux et de comprendre par cette introspection qui je suis et quelles sont les raisons de mes réactions. J’avais l’impression d’être anempathique, je ne sais pas si ce mot se dit vraiment, mais je n’avais pas d’empathie. J’avais cette impression d’être un peu dans ma bulle, pas forcément égocentrique mais le monde extérieur ne m’atteignait pas. J’avais vraiment cette sensation.

Pour cet album, je me suis choisi un thème très simple : la tristesse. Donc le morceau s’appelle « Triste ». Je me suis alors demandé ce qui me rendait triste et je me suis mis à réfléchir. J’ai donc mis plusieurs semaines à lister ce qui me rendait triste. Finalement, je me suis rendu compte que ma tristesse venait de choses qui m’affectaient vraiment directement ou me touchaient directement. Par exemple, des proches qui disparaissent, mes enfants qui grandissent, mes anciens amours, des trucs comme ça. Et puis à un moment, en allant voir le film de Ken Loach “Moi Daniel Blake, ”j’ai eu une révélation, enfin entre guillemets.

Dans ce film on voit comment quelqu’un peut se retrouver dans la misère. Sans spoiler ce film, on voit un homme et une femme qui se retrouve dans des situations de grosses galères. Et comme on s’identifie aux personnages, au moment où il leur arrive des choses assez dures et graves, l’émotion est là et c’est complètement cathartique. Je me suis mis à pleurer.

Les gens dans la rue, ils ne sont pas déshumanisés, mais ils n’ont plus vraiment de rapport avec les autres. Soit on a envie de les éviter, soit de les montrer du doigt ou tout simplement, on les ignore. On se met des œillères. Il en va de même pour les prostituées. Des fois, tu passes devant et tu ne t’arrêtes pas : ça ne te fait pas pleurer. Face à ces cas de figures, je pensais que je n’avais pas d’empathie, que j’étais froid. Et je me suis rendu compte que finalement, via l’art, et en l’occurrence via un film, j’arrivais à être triste et à pleurer. Je me suis dit que, finalement, lorsque je vois cette misère au quotidien, ma tristesse s’accumule. Je la contiens parce que sinon je passerais ma journée à pleurer, surtout quand on est en milieu urbain et qu’il y a quand même beaucoup de gens qui souffrent et qui galèrent.

Je me suis donc rendu compte en faisant ce morceau que je pouvais avoir de l’empathie. Il y a pas mal de réflexion et beaucoup d’analyse.

 

Lorsque vous écrivez une chanson, avez-vous déjà les clips en tête? Je pense notamment à “Marchand de sable” qu’on imagine mal maintenant sans l’image.

En fait, c’est juste que, quand j’écris un morceau, presque chaque phrase crée une image. J’essaie de faire en sorte que cela soit très imagé avec des comparaisons, des métaphores, des descriptions, etc. J’aime bien l’idée que l’on puisse se projeter et se faire son petit film dans sa tête. L’auditeur doit avoir cette possibilité-là.

 

Dans le cas du marchand de sable, ça a été écrit. Il y avait des images bien évidemment, mais c’est après que j’ai eu l’idée, le concept, d’un homme qui est sur son lit conjugal avec sa femme à côté qui dort. Les fantasmes sont illustrés par des ombres. J’ai ensuite connecté Philippe Beau qui est un ombromane avec qui je bosse de temps en temps, d’ailleurs il est revenu à la Cigale il n’y a pas longtemps pour faire une performance mortelle. Et j’étais super fièr de le présenter aux gens. Et donc, ce clip-là c’était Philippe Beau connecté avec David Freymond, super réalisateur dont j’adore le travail. Je lui ai donné l’idée, je les ai connectés et je leur ai dit “Maintenant les gars, faites comme vous le sentez”.

Des boucles de mails se sont ensuite enchaînées.

C’est un clip qui était assez onéreux et qui a pris pas mal de temps à la conception. Il y a d’autres clips qui sont plus spontanés et plus « freestyle », notamment le premier clip que j’ai sorti pour “Terminus”. Le morceau s’appelle “Underground”. Je n’allais pas faire un scénario. Le sujet c’est justement « underground », le rap dans la cave. Par contre, je ne voulais pas me contenter d’un truc dans la cave donc on a voulu trouver des grottes stylées. On a trouvé des carrières en Normandie. On est arrivé sur place et on a essayé de capturer un petit peu l’atmosphère. C’était tellement vaste… On était une petite équipe, j’aurais aimé que ce soit encore plus incroyable. Il y avait vraiment des choses énormes, c’était très haut et impressionnant.

 

Justement, de par vos clips, on a l’habitude de vous assimiler à une mise en scène très imagée, arrivez-vous à obtenir ce même résultat sur scène?

Quand j’aurai beaucoup de moyens, j’y arriverai ! J’ai toujours essayé de faire avec les moyens du bord : je bricole des choses pour pouvoir raconter des histoires sur scène et plonger le spectateur dans une ambiance le temps d’un morceau.

Actuellement, je suis encore dans quelque chose de très HipHop dans l’esprit. C’est-à-dire qu’il y a quelques tableaux où le public est en train d’écouter, mais les gens sont debout dans une salle. J’ai donc surtout envie qu’ils bougent, qu’ils transpirent et passent un bon moment. Parce que, lorsque je vais à un concert de rap, j’ai envie de cela.

En revanche, j’ai d’autres projets. Ce sera plutôt en salle assise, en lien avec le spectacle vivant, le cinéma. Cela sera pensé pour être savoureux avec les yeux et les oreilles, sans pour autant avoir besoin de bouger dans tous les sens. Ce sera donc plus calme. Là, j’ai quand même des morceaux qui sont présent pour faire bouger les gens, que ce soit des morceaux du dernier album ou des anciens. Pour ces morceaux-là, il y a un peu de mise en scène :c’est surtout balancer de la lumière et de l’énergie.

Sur mes tournées il y a toujours ce qu’il faut de scénographie et de mise en scène, avec une bonne part de bordel, de moments où ça part en couille et où tout le monde se rentre dedans (rires).

 

Dans ce titre “Underground” vous semblez parler d’un manque de reconnaissance ou de légitimité, le percevez-vous vraiment de cette manière?

Manque de légitimité non ! Tout le monde a le droit de s’exprimer, à moins de le faire sans tact ou avec bêtise, C’est vrai que certains sujets sont à manier avec pincettes. De toute façon, moi je ne suis pas dans le rap. J’en écoute énormément, on m’invite à des émissions de rap, ou des salles comme ici à l’Affranchi et c’est génial, mais la vérité c’est que je ne me suis jamais senti comme faisant partie de la famille. Je pratique la même discipline que plein de gens. J’aime ces gens-là et je vais les voir en concert et tout, mais je suis plutôt l’outsider qui fait ses trucs de son côté.

Maintenant je dis que je fais de la chanson rappée, et ça me colle peut-être mieux que juste “Rap”. C’est les deux choses qui m’ont le plus influencé : la chanson française et le rap. J’écoutais des morceaux de Barbara en même temps que je découvrais Heltah Skeltah ou les premiers albums de Cypress Hill, Wu Tang, etc. Pour moi cela se mélangeait, ce n’était pas deux choses complètement distinctes. Il y a ce qui est viscéral, me donne envie de bouger et il y a un mélange entre le cérébral et ce qui te prend aux tripes, comme Barbara ou Catherine Ringer des Rita Mitsouko, ou Léo Ferré. J’ai toujours pensé qu’il fallait mélanger ça. Maintenant on voit de plus en plus de courants de la sorte et cela veut dire qu’on était nombreux à avoir cette envie au même moment. Tant mieux si cela fonctionne.

Pour revenir au manque de reconnaissance, je fais juste ce que j’ai à faire. Et je pense que plus ton ascension est longue, plus tu savoures le moment où tu es au sommet si tu y arrives un jour. Mais en tout cas, si le succès arrive d’un coup, c’est fascinant pour le spectateur et pour l’artiste lui-même, mais une fois que tu es au sommet, tu ne peux que redescendre. Ou alors tu restes, mais la pression que tu as est incroyable. Je n’aurais pas aimé être Johny Hallyday par exemple : tu n’as plus de vie privée. Ce n’est pas pour moi. Je veux juste faire mon truc tranquillement. Bien sûr, je rêve qu’un morceau cartonne et fasse découvrir ce que j’ai déjà fait, que les gens fassent des « haa haa » et creusent pour savoir ce que j’ai fait avant. Dans ce cas-là c’est intéressant parce que tu as des années et des années de pratique et d’expérience. Les gens vont alors avoir de la matière, et toi, tu as affiné ton personnage et tu sais très bien qui tu es. Tu es bien dans tes baskets et tu ne vas pas te faire récupérer par telle maison de disque ou tel courant. Moi je sais ce que je fais et si un jour cela plait à beaucoup de gens, tant mieux. On ne pourra pas me manipuler.

 

Dernière question, on arrive donc à la fin d’une trilogie et vous nous parliez tout à l’heure de spectacle vivant, à quoi doit-on s’attendre pour la suite? Un prochain album?

Est-ce que ce sera un album ? Pour l’instant c’est un spectacle. Est-ce que ce sera sur CD aussi ? Je ne sais pas. Tout est possible. Disons que c’est secret, histoire de créer des petites frustrations.

 

Nous remercions l’équipe de l’Affranchi ainsi qu’Hippocampe pour cette entrevue et pour sa sympathie. Un conseil, n’hésitez pas à aller le voir en concert s’il passe dans votre ville.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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