Il a du caractère, il est endémique, et si vous ne le connaissez pas, vous avez manqué quelque chose ! Le Muge c’est LA personne à connaître lorsqu’on souhaite découvrir Marseille et ses traditions.

Accoutumé des soirées où convivialité et bonne bouffe se fréquentent, Le Muge est également un rappeur qui a créé son propre univers dans lequel se mélange le quotidien d’un Endoumois et, évidemment, les expressions marseillaises. Sa spécificité ? Le rythme d’un sudiste qui ne manque pas de prendre le temps, tant d’apprécier la vie, que d’envoyer se faire ronger les emmerdes qui osent croiser son chemin. Son rap : c’est un break, un apéro, un instant où on se pose pour regarder sa propre réalité en savourant l’autodérision apportée par le personnage.

Puisque local et bio sont à la mode, c’est peut-être le moment d’entrer à Mugeland et de se prendre une bonne dose de rap purement marseillais en pleine figure ! Un rap sincère, sans artifice. Mais avant, partons découvrir l’artiste.

Pour commencer, j’aimerais revenir sur tes débuts. Tu as commencé avec Prodige Namor puis Al Iman Staff. Pourrais-tu revenir sur cette période?

En fait, à l’époque, Prodige Namor était un très grand groupe à Marseille. Il faisait également des concerts à la Maison Hantée avec IAM au tout début. Maroco, quant à lui, c’est un ancien BBoy du Vieux-Port. Il a aussi accompagné IAM sur la 1ere tournée. Ils font partie du premier noyau rap marseillais. Mais c’était surtout un groupe proche d’Assassin plutôt que d’IAM et de la FF. Ils étaient à part.

De mon côté, j’ai commencé le rap grâce à Namor. Je le connaissais. C’était au moment de la fin du groupe Prodige Namor. Ils avaient sorti un album qui s’appelait « L’heure de vérité » qui a eu un gros succès d’estime en France, c’est un classique. D’ailleurs, il y a certainement un des premiers morceaux de Soprano sur cet album. Namor était connu pour son écriture et son engagement. C’était quelqu’un de très politique. Il était dans la verve comme Assassin.

J’ai d’abord commencé à écrire sur ses maxis, sur ses faces B. Il avait sorti « Dans le traquenard ». Il animait aussi des ateliers d’écriture à La Friche. C’étaient des ateliers super connus par lesquels sont passés Soprano ou encore Keny Arkana. À Marseille, beaucoup de rappeurs ont suivi ces ateliers. C’était incontournable.

Il a ensuite monté Al Iman Staff qui était initialement un collectif, mais qui est devenu un groupe. Il y avait Maroco, de Prodige Namor, Comodo qui était à ses ateliers, Tom qui nous a quittés avant le premier album, et moi. Il y avait également plusieurs DJ : DJ Abdou et DJ Natch. On a sorti un premier album qui s’appelait « Mets les gosses à l’abri » chez Night&Day en coproduction avec Impulsion, un super label marseillais qui avait fait le premier maxi de Mino, RPZ, etc. On avait fait de très belles ventes pour des indés. Le morceau « Mets les gosses à l’abri » a super bien marché. Il a tourné en télé. On avait même eu une semaine sur Génération. Ce n’étaient pas les chiffres de la FF, mais c’était pas mal pour de l’indé.

À la fin de tout ça, Namor a souhaité repartir sur un solo, ce qui se comprend complètement. On a donc fait de même. À l’époque, je m’appelais « Mesrime » et le premier label avec lequel j’ai bossé en solo c’était Just Music qui se créait également. Mon premier album est sorti en 2006.

Voilà, c’était pour resituer. C’était une autre époque. Tout le monde dans le rap se connaissait même si les gens ne travaillaient pas forcément ensemble. C’était petit et familial.

Il y avait donc Mesrime avant et maintenant Muge Knight. Ton but est de nous amener au cœur de Mugeland, ton nouvel album. Quel vocabulaire faut-il connaître pour y entrer?

Franchement, si tu ne connais pas le vocabulaire marseillais c’est compliqué (rires), mais cela a un intérêt. Par exemple, ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas tout ce que disent les Ricains qu’on n’y trouve pas un intérêt. Il y a des expressions et des mots marseillais, mais les Parisiens et les Bordelais, par exemple, peuvent comprendre puisqu’ils ont le contexte.

J’écris et je rappe comme je parle. C’est vrai que tout le monde ne sait pas ce qu’est un Muge. C’est un poisson, mais c’est aussi le sexe de l’homme. Donc forcément c’est un jeu de mots au second degré ici.

Il n’y a pas si longtemps, le patron du bar de mon quartier est parti sur le plateau de Cyril Hanouna et il a sorti mon album en pleine émission. Les mecs présents sur le plateau n’ont pas réussi à prononcer « Muge ». (rires).

Je tiens beaucoup à cette identité parce que l’identité marseillaise est en train de disparaître. Les choses changent, et je suis en faveur de l’évolution. Mais, c’est important pour moi de faire perdurer cette identité. Je m’attelle à préserver et promouvoir ma culture pour que, si quelqu’un est à Marseille depuis 2 jours, il puisse découvrir cette culture. Les artistes d’aujourd’hui ne se différencient pas malheureusement. On ne sait pas s’ils sont marseillais ou parisiens par exemple. Ils se formatent un peu et s’aseptisent, c’est dommage quelque part. Moi, de mon côté j’essaie de faire découvrir la culture marseillaise dans son ensemble, y compris sa cuisine. Des fois, cela arrive même que ce soient les non marseillais qui apprécient le plus ma musique, ça les fait voyager.

Avant, il y a eu « Finis parti » maintenant « Mugeland ». Est-ce qu’il y a de nouvelles thématiques abordées ? Qu’est-ce qui pour toi les différencie?

Dans « Finis parti », il restait un peu du Mesrime. C’était la transformation. Le personnage de Muge Knight s’est créé naturellement avec « Mon vier maintenant ». À la base, c’était un morceau de Mesrime, mais le personnage a été créé. Je me suis tellement senti bien et moi-même dans ce personnage que j’ai souhaité sortir un projet Muge Knight. Ce personnage me ressemblait plus que Mesrime. En groupe, c’était différent. Quelque part tu t’adaptes à l’ambiance des autres alors que là, Muge Knight, c’était vraiment moi l’Endounoi.

Dans le premier album, il restait un peu d’Al Iman Staff. C’était un peu le papillon qui sort de sa chrysalide. Au niveau des prods, c’était super Soul. J’étais dans ce délire-là à l’époque. La vraie différence entre les deux albums se fait au niveau des prods. Il y a encore une ou deux prods dans le délire « Finis parti », mais j’ai vraiment voyagé pour Mugeland. J’ai fait un morceau avec un artiste electro, j’ai samplé un morceau reggae des années 70, etc. Les prods c’est des coups de cœur. Je travaille souvent avec les mêmes beatmaker. Sur ce projet-là, il y en avait qu’une seule de Just Music par exemple, alors que sur le précédent c’était presque tout l’album. Cette fois, il y a des prods de Creestal, de Corrado, d’Amevicious, de Gabylando Beats, de Kickhunterz Beatz, et de Just Music.

Au niveau des thèmes, on est sur la continuité. Je ne suis pas dans les mêmes thèmes que dans « Fini parti », mais c’est ma vie de tous les jours : ce marseillais des années 80 qui vie en 2020. Je décris un voyage. Je parle de la crise de la quarantaine par exemple, de choses dont j’avais envie de parler.

Dans tes clips on a tendance à retrouver les mêmes lieux et les mêmes personnes. Si on devait visiter Marseille différemment tu nous emmènerais où et voir qui?

Déjà je ne vous emmènerais pas chez moi puisque je vous y emmène souvent.

Pour le clip que je suis actuellement en train de réaliser (« Mugeland » ndlr), je suis allé à la criée aux poissons. C’est à l’Estaque, là où les pêcheurs se rendent. C’est un endroit que les gens ne connaissent pas. Bon, c’est un peu délabré puisqu’avant il y avait des milliers de pécheurs et que là il y en a plus que 5… c’est vraiment la crise. Mais j’essaie de faire d’amener des gens dans des endroits atypiques.

Dans le clip « Tu as épousé une légende », je suis allé dans des cabanons qui sont au Rove.

Je pense que si on me demandait de faire visiter Marseille aux gens je le ferais par la gastronomie. J’irais les faire manger telle pizza à tel endroit, telle spécialité dans un autre. En ce qui me concerne, quand je visite une autre ville, ce qui m’intéresse c’est de manger le bon truc au bon endroit. Pour moi, le voyage passe par s’assoir et manger.

Pourrais-tu nous raconter l’histoire de A à Z d’un morceau de l’album?

Je vais te raconter l’histoire de « Crise de la quarantaine » parce que c’est grâce à ce titre que j’ai fait cet album. C’est un morceau assez dark dans l’esprit. C’est le plus dark de l’album si tu l’écoutes sans voir le clip. Corrado m’a fait une prod super US plutôt new school. Je lui avais commandé un truc entre guillemets « moderne », à la Pusha T. Je suis très rap US. J’ai donc écrit ce texte un peu énervé. Et ce morceau, jamais je n’aurais pensé que j’allais le clippé. Il devait être dans l’album, certes, mais pas clippé. J’étais plutôt dans le délire des clips ensoleillés.

Sauf que, pendant le confinement, on ne pouvait rien faire, les bars étaient fermés, etc. Simon Magnani, celui avec qui je fais les clips, je travaille également avec Florian Lalanne, me dit « Tiens tu ne veux pas faire un clip pendant le confinement ? ». Je ne voulais pas faire quelque chose à l’arraché. La seule chose finalement que je pouvais clippé, en bas de chez moi, dans mon box en galère, ou dans ma cuisine, c’était « Crise de la quarantaine ».

On a donc fait ce clip en noir et blanc. Il est très réel puisque c’est vraiment ma cuisine. Les gens sont vraiment ceux avec qui j’étais confiné.

Ce clip a finalement eu de super retours. Il a bien tourné, même La Provence l’a partagé. Ça a fait délirer les gens. Grâce à ce clip, Otake m’a contacté. Comme ils ne pouvaient plus faire d’événements, ils voulaient produire des artistes locaux. Ils m’ont donc demandé si je souhaitais faire un album. J’ai été partant puisque j’avais une dizaine de morceaux. Je comptais en faire un peu plus, mais je me suis dit « Mon vier maintenant ! Je le fais l’album ! ». Je n’étais pas prêt, mais comme on était en plein confinement je n’avais que ça à faire. J’ai fait mes mixes à distance, la pochette, etc. J’ai avancé à fond sur l’album alors qu’habituellement je n’ai pas le temps. Grâce à ce confinement et à ce clip, j’ai pu boucler « Mugeland ».

Est-ce qu’il t’arrive, depuis que tu as créé le personnage du Muge, d’avoir envie de rapper sur des thématiques qui ne sont pas compatibles avec ce personnage ?

Franchement, personnellement non. Dans ce que je crée moi, je peux parler de tout. Mais par contre, c’est vrai que je ne peux pas faire des feat avec n’importe qui. Cela dépend du délire. Jusqu’à présent je n’ai pas eu de problème. Mais effectivement ce serait compliqué d’arriver dans une compile et de devoir faire un truc avec un mec qui prône le contraire de ce que je prône moi. Généralement les artistes extérieurs qui souhaitent faire une collab me choisissent parce qu’ils veulent un titre « délire marseillais ». Ceci dit, moi j’aime bien surprendre. Si on prend l’exemple du titre « Driver », qui est un morceau que j’adore, il change de ce que je fais habituellement. Il est electro et dark. Je l’ai fait avec Amevicious qui fait de l’électro marseillaise. C’est un artiste que j’écoute depuis longtemps. Le morceau est différent, mais ça reste du Muge Knight. Dans Mugeland je me lâche un peu à ce niveau-là.

Admettons qu’il n’y ait pas le covid, quel serait ton rêve pour promouvoir l’album ?

Franchement, mon rêve ce serait de faire une tournée mondiale, dans des pays un peu exotiques style le Brésil. J’ai une vie de cassos donc si on pouvait m’envoyer dans un hôtel 5 étoiles au Brésil ce serait le rêve. Je serais dans mon élément : je pourrais bronzer et prendre l’apéro (rires) !

Mais il ne faudrait pas que ce soit trop long, car j’aime ma petite vie, ma vie de quartier, ma famille, mes amis. Mais voyager un peu serait le kiff quand même ! Vendre du Muge dans le monde entier (rires).

Nous remercions Muge Knight pour le temps accordé et pour son album.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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