La dernière fois qu’il avait foulé la grande scène des Francofolies de La Rochelle, c’était en 92. Le temps passe et son album « Chapître 7 » a mis 10 ans avant de connaître son petit frère.

Jour festif, la France est championne du monde de football. Mc Solaar vient d’arriver. Il arbore un sourire enfantin et apaisé. Malgré l’effervescence de la journée, il prend le temps de m’accorder une dizaine de minutes pour une interview en bord de mer, sur des transats floqués aux couleurs des Francos : un cadre idyllique pour une discussion avec un poète de ce gabarit.

 

 

Bonjour Claude […] Vous signez votre retour après 10 ans d’absence. Il a fallu que vous soyez sollicité par des compositeurs pour que vous relanciez votre carrière artistique. Comment vous ont-ils motivé ? Quelles étaient les conditions favorables à ce renouveau ?

Je suis plutôt d’un naturel relax. Au 19e siècle, on appelait ça un socialiste utopiste qui pensait au droit au repos, ou bien un anarchiste qui ne croyait même pas à ses chefs anarchistes. Heureusement, deux trois personnes sont arrivées et ont installé des studios pas très loin des endroits où j’allais régulièrement. En réalité, c’est le fait d’enregistrer des titres qui m’a permis de me rendre compte que ça me plaisait. On enregistre et on écoute, et on est satisfait. On est content, on a fait quelque chose. En gros, j’ai fait un tableau et j’étais content de l’avoir fait.

Je suis donc passé d’un extrême à l’autre. Il faut toujours vivre l’autre extrême. Je n’avais pas touché à la musique pendant très longtemps. Une fois qu’ils ont mis des micros, cela a suffi à me motiver. Pendant la première semaine, j’ai fait 5 titres. J’étais content d’avoir produit quelque chose. Cela parait bizarre parce que nous sommes des musiciens et qui aimons être en studio, mais curieusement,  je voulais faire un break. On ne se rend pas compte du bonheur que l’on perd quand on s’arrête. C’est quand on revient qu’on se dit « Mais merde ! C’est cool ». On a des objectifs, on se remet à écouter de la musique. En gros, on a un super métier, c’est une chance terrible que j’ai mis de côté pendant 10 ans.

 

Il parait que vous avez quand même écrit un morceau par an. Ce sont des morceaux « perdus » ? Quelles étaient les thématiques abordées ?

Oui, en effet. C’était des morceaux qui n’avaient rien à voir : souvent conceptuels, avec des figures imposées. Il y avait un morceau très bien avec des cartes à jouer. J’en avais fait 50 % puis j’ai fait la suite récemment. Il est terminé.

J’ai fait aussi des morceaux solaariens traditionnels. C’est-à-dire des morceaux qui ne sortent jamais : noirs et tristes, avec une accumulation de choses qui ne vont pas. Je ne crois pas que ces morceaux méritent de sortir, car ils mettent vraiment le blues. En guise d’exemple, si je parle d’un couple, même si le couple se retrouve, les protagonistes finissent enterrés l’un à côté de l’autre et un chien vient déterrer l’un (rires). Mais j’adore ! Je crois que ce sont des morceaux de mise en jambes. Je dois en avoir six en stock. En général, cela raconte quand même la vie. La vie de quelqu’un qui a toujours travaillé, qui arrive enfin à la retraite et au moment où il a enfin du temps libre, il veut aller à la campagne, voir un cheval ou une vache. Et là, une voiture passe…

Je ne veux pas rendre publics ces morceaux parce qu’on ne sait pas dans quel contexte les gens écoutent. Ce sont des entrainements. Je décharge tout le négatif, mais je ne veux pas le propager.

 

Dans vos albums, on ne constate pas de texte « personnel », de texte à la première personne du singulier,vous utilisez plutôt le storytelling. Est-ce que, lors de ces entrainements, vous vous  prêtez à l’exercice du « Je » ? Ou est-ce banni même dans ce cadre?

Non, je ne le fais pas, mais je vais le faire. Je vais écrire « Je ».

Les rappeurs que j’aime bien aux États-Unis parlent d’eux. Et en France aussi: Eddy de Pretto que j’entends depuis un certain temps, ou quelquefois les pensées de BigFlo et Oli, ou d’autres rappeurs qu’on appelle du rap de prod, du rap HipHop authentique. J’aime bien quand les artistes parlent d’eux. Je ne l’ai jamais fait, par pudeur et parce que j’avais le sentiment que tout le monde me connaissait dans mon quartier, dans mon métro, dans la région parisienne. Pouvoir livrer, c’est pas mal. Et tous ceux que j’aime (Big Daddy Kane, Jay Z, Rick Ross) parlent à la première personne. J’ai du le faire deux trois fois seulement, mais au final je trouve que c’est bien. C’est un autre rapport, on ne parle pas de singles, de hits, mais c’est vraiment ces morceaux-là qui me plaisent. Kanye West me touche dans l’album où il y avait Black Skinhead quand il parle de sa vie, sa mère, son rapport à la mode. Je pense que j’ai un peu plus confiance en moi, que je peux livrer des choses, donc je le ferai sur un prochain album. Avant j’ai toujours tout fait pour passer inaperçu et ne pas gêner les gens qui étaient autour de moi, tous mes potes. Il fallait que je trouve mon chemin, un chemin différent. Aujourd’hui, ça y est, je peux peut-être raconter des choses personnelles, mais avec de l’analyse, car cela doit être en mouvement.

 

Et justement, comment procédez-vous pour écrire ? J’ai entendu que pour « Aïwa » vous aviez recherché des mots de 5 syllabes dans Wikipédia.

(Rires). Pour Aïwa, pour la première fois, je m’étais mis une contrainte que je ne m’étais jamais mise auparavant: j’ai utilisé du rap et des cadences. Je voulais que le premier couplet soit exactement le même que le deuxième. À un moment donné, il me fallait un cinq syllabes parce que dans le premier j’avais mis un cinq syllabes. J’ai donc cherché longtemps sur Wikipédia, et j’ai trouvé un terme d’un poète grec de je ne sais quelle époque. Cela m’a permis d’apprendre quelque chose grâce à cette figure imposée. J’aime bien ne pas simplement écrire ce que je veux, mais me mettre deux, trois, cinq difficultés. Au moins une par texte. Ça m’a fait du bien, mais je ne vais pas le faire plus souvent, car lorsqu’on va dans un dictionnaire au moment où l’on écrit, en tout cas pour moi, on perd l’unité de temps, l’écriture automatique, les erreurs qui font naître des punchlines. On est trop étudiant au final. Donc j’aime bien quand il y a un facteur time.

 

 

Dans « Mephisto Iblis », vous avez un champ lexical similaire à celui de « Solaar pleure », c’est volontaire j’imagine ?

Oui, cela fait partie d’une trilogie. J’avais un « Solaar pleure », j’avais le « Solaar pleure 2 », j’avais « L’impact avec le diable », j’avais fait aussi « Dieu créa l’homme ». C’est un cinquième, c’est pire qu’un triptyque. Ce sont des morceaux que je trouve importants, car ils servent à lancer des messages aux gens pour changer le monde. Là, le champ lexical est beaucoup plus pointu que dans « Solaar pleure » puisque je suis allé lire des contes, des légendes, des écrits sur des religions et savoirs que je ne connaissais pas, d’Iran, de l’Islam, etc. J’ai découvert des anges mauvais que je ne connaissais pas encore. C’est bien, c’est comme des études. J’essaie de varier les mots. « Iblis » est un terme que je connaissais dans la vie quotidienne, mais que je n’avais jamais employé. « Mephisto » non plus. Le « Dajjal » non plus, etc. C’est là où c’est jouissif : en écrivant pour donner aux autres, on apprend en même temps.

 

Vous avez dit que vous n’attendrez pas 10 ans de plus pour le prochain album. Est-il en cours ?

Je n’ai pas encore travaillé sur un prochain album, mais j’ai quelques idées musicales, et j’ai une feuille chez moi. J’ai déjà écrit quelque chose, je vais voir ce que j’ai écrit en rentrant.

Pendant cette interview, Birkin était sur scène pour rendre hommage à Gainsbourg. Solaar fera de même un peu après minuit en interprétant le titre « Super Gainsbarre » composé d’alexandrins et tout droit sorti de son dernier album. Solaar proposera un show ponctué de nouveaux comme d’anciens titres. Il débutera par « Intronisation », avec en fond, d’immenses écrans retraçant son histoire au travers de portraits datés de toutes époques. Accompagné par son batteur, son DJ, son backeur et ses deux chanteuses, le MC enchaînera les morceaux : « Sonotone », « Qui sème le vent récolte le tempo », « Bouges de là », ou encore « Frozen Fire ». Les choristes se passeront la main et prendront des rôles, les écrans divulgueront des palettes d’images, Solaar nous contera ses histoires, les tenues changeront, mais la dynamique restera la même : apporter du positif. Le public, emballé par les deux titres qui clôtureront le spectacle: »Solaar pleure » et « Aïwa », sera resté quelque peu sur la défensive face à « L’attrape-nigaud » ou « Zonmé des zombies », titres dynamiques pourtant plus qu’adaptés aux interprétations scéniques. Mais peut-être aussi un peu trop modernes et électroniques pour des fans de Birkin, Brigitte ou encore Juliette Armanet. De mon côté, j’ai adoré: Claude MC et son équipe m’auront fait danser sur une poésie riches en subtilités, mise en musique sur des tonalités éclectiques , 

Merci à l’équipe des Francofolies ainsi qu’à MC Solaar pour le temps accordé.

 

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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