La cité phocéenne dégote encore une fois le premier rôle. À la une des infos nationales, le titre du film a été donné et le compte est bien réel : Marseille incarne la « Ville insalubre ».
Les habitants ne tournent pas dans un film. Pourtant, l’histoire ressemble à un mauvais scénario, un scénario auquel on a du mal à croire : des bâtiments qui s’effondrent, emportant avec eux des histoires, des souvenirs, et surtout, des vies. Une partie de dominos extrême semble avoir commencé, adoubée jusqu’alors par les autorités locales et récemment hors de contrôle. Les pièces du jeu menacent de tomber les unes après les autres et l’on craint tous la fin de la partie.
Suite à ce tragique événement, la pauvreté et l’ingérence se sont ajoutées aux bruits de kalash, d’incivilité et d’insécurité qui ternissaient déjà l’image de cette ville méditerranéenne. Triste portrait.
La rue d’Aubagne parle d’elle-même : l’effondrement volontaire du troisième bâtiment a fragilisé tous les autres. Et, quelques heures après, les cendres et débris de celui-ci se sont fait rapatrier sur leur emplacement initial afin de rétablir « l’équilibre » des immeubles mitoyens.
La métaphore est criante : dans une ville et une société, même ceux qui paraissent plus frêles ont un rôle. C’est ensemble qu’on tient debout. Chaque entité a sa place et sans cette union, personne ne s’élève. Les artistes et habitants de la ville l’ont bien compris. La solidarité s’est organisée dès les premiers instants. Ici, on est marseillais avant d’être français, et on se bouge, on crie, on chante, pour soutenir nos collègues impactés.
Marseille est avant tout une ville artistique et solidaire qui sait se relever, lever le poing et s’exprimer. Sans surprise, le Molov, poumon culturel de la ville, a annoncé un concert de soutien jeudi 15 novembre. Public et artistes ont été si nombreux à se manifester que d’autres lieux ont pris la relève, proposant un panel de concerts solidaires.
Il est donc 19h20, nous sommes devant le Molotov, situé un peu plus haut que la rue d’Aubagne. Il n’est pas encore l’heure, mais le public commence déjà à s’entasser. Sur la droite, un stand propose des sacs en tissu, colorés de rouge, sérigraphiés « Solidarité Noailles », cœur et poing levé en symboles.
Qui prétend faire du rap sans prendre position ? Sans doute pas les artistes présents ce soir. Que ce soit rap ou reggae, l’heure est à la prise de parole. Entre tristesse, colère et revendication, la soirée débute. Aux platines, le DJ et Beatmaker Pak Dj’een. Il enchaîne les sons et nous propose même des instrus composés d’extraits de la « Manif de la colère » du jour précédent. Sa façon a lui de s’exprimer: en musique.
Vers 20h30, Toko Blaze prend le mic, accompagné de Louzgain et Daddy Pierrot. Ses titres reggae/raggamuffin sont dédicacés à Noailles, les textes sont accusateurs : « Ça les arrange que les choses ne bougent pas », « Nos dirigeants sont en train de comploter », « on ne baissera pas les bras, toujours prêts pour le combat. Quelques soient les difficultés on résistera ».
Juste après, un des membres du Massilia Sound System prend la relève et commence par une dédicace à ceux ayant participé aux manifs, manifs pour Noailles autant que pour La Plaine, cette place emblématique en rénovation aujourd’hui murée de part et d’autre.
Dans le Sud, Massilia, c’est une institution : des couplets et refrains connus par cœur, un public fan de cette bande de potes du coin qui ne finit jamais une intervention sans un « Aïoli » lancé festivement !
Ce soir, un des membres est absent, ce qui n’empêche pas de « goulèguer ensemble ». Et pour ça, on commence par le titre « Ma ville est malade » que le groupe dédicace à la Mairie. Mais attention, comme ils le disent si bien, « La fête ne suffit pas. Il faut être unis les uns aux autres, sortir avec le sourire et se dire qu’on a passé un moment magnifique avec les Marseillais. », tout ça pour faire face au « déficit d’humanité ». Le groupe culte nous aura fait danser et sonner l’alarme sur des titres reprenant les spécialités locales: dimanche aux Goudes, marché du soleil, etc.
Le reggae s’estompe et laisse place au rap. MC K.meleon ouvre le bal et, « deux poings en l’air » s’il vous plait ! Pak Dj’een est de retour aux platines, mais pas que: micro en main, il anime lui aussi. C’est la combinaison The Crush : morceaux plus énervés et exclusivité. Le titre « Yukulélé » fait son apparition, rythmique trap moderne, ça surprend ! S’ensuit le titre au refrain « On n’est pas des suiveurs » adapté à la situation, et idéal pour un début de pogo.
Le changement reggae-rap a créé un roulement de public. La salle était pleine et sortir prendre l’air relevait presque de la nécessité. La masse s’est un peu réduite, pour mieux se reconstituer quelques morceaux après.
En attendant Adikson Mc prend la suite. Fan de foot, il demande au public de le suivre sur un classique remixé « aux armes, nous sommes les marseillais, c’est pour la rue d’Aubagne, allez Noailles ». Il enchaîne avec le morceau « Tacle à la Mozer », Abdou aux platines. Par la suite, Muge Knight le rejoint pour interpréter « Bielsa »
Adikson sort de scène et les deux acolytes d’Ali Man Staff rejoignent le Muge. Ce dernier donne la parole à René Malleville présent dans le public, personnalité marseillaise connue des amateurs de foot, ancien patron de bar, syndicaliste et maintenant chroniqueur pour plusieurs médias.
Arrive ensuite K.Rhyme le Roi, adossant fièrement son sweat « Belsunce » pour représenter le quartier. Il fait référence au HipHop, le vrai. Son deuxième morceau est plus posé, « C’est le cœur qui parle ».
Daz, DJ d’IAM s’installe. Changement d’ambiance, il nous pose un « Suavemente, besame, Que yo quiero sentir tus labios ». Les sons HipHop ricains prennent le relais puis, une voix bien connue entreprend calmement une narration « Quand ils sont arrivés d’Italie… », Akhenaton, non présent, nous narre dans son enregistrement l’histoire de sa famille, immigrés à Marseille. Cela se transforme en hommage aux morts. Sa voix posée dicte une vision critique et accusatrice « La justice n’a vraiment jamais existé dans ces rues ». Puis, Daz se remet aux scratchs
Il est 22h35, Le Molotov reprend ses habitudes, on voit passer l’Amir’Al, et Tonio monte sur scène pour filmer Faf Larage qui vient de s’emparer du mic. Les premières notes de son morceau nous replongent dans le passé « C’est ma cause », classique de 1999.
On s’en doute un peu compte tenu des présents, le prochain titre est aussi un classique dont le public ne sait se lasser « Le retour du Shit Squad ».
K.Rhyme Le Roi, Boss One (3e œil), et Faf Larage nous offrent une version light du titre. Faf reprend ensuit ses titres phares « Ta meuf »
Shurik’n s’immisce avec Faf, « La garde meurt, mais ne se rend pas ». Vient ensuite L’Amir’Al accompagné de Carlito Brigante qui, se disant né au 41 rue d’Aubagne, se sent plus que concerné. Les deux rappeurs viennent « de la zone, de la zone ».
Soon reprend les manettes, il est 23h44 et l’enceinte de gauche se laisse emporter par les vibrations au point de se débrancher tant les basses résonnent. Une fois son set fini, c’est Dj Djel, de la Fonky Family, qui enchaîne. Comme presque à chaque événement marquant, le Dj au chapeau nous offre un mix conçu pour l’occasion, empli de morceaux à l’effigie de la ville dont « Art de rue » de la FF, « La vie de rêve » du 3e Oeil, « Fait divers » de Carré Rouge, « 13 département » de Carpe Diem, « Belsunce breakdown » de Bouga. La deuxième partie de son set est plutôt US avec des Classiques comme Sound Of the police ou encore Bad boys for Life. Entretemps, il aura fait monter Metek sur scène, rappeur de Noailles.
Les derniers instants sont dédiés aux discours, le patron du Molotov, Hazem, a témoigné des conditions de vie insalubres connues de tous à Marseille, Soon, Djel et Pak Dj’een ont fait de même. Un mot de la fin engagé, pour mobiliser les troupes et continuer le combat et le soutien, accompagné de vibes positives, parce qu’ici le sourire va de pair avec le soleil.
Les concerts de soutien aux sinistrés continueront, des dates sont annoncées sur les réseaux, notamment celle du 21 décembre avec IAM, Sat, Keny Arkana, 3e œil, faf Larage, Red K, K.Rhyme le roi et de multiples guests !
Nous remercions Boss One, Djel, Metek, Le Muge et Toko Blaze pour les compléments d’informations qu’ils nous ont donnés et nous vous espérons présents aux différents concerts de soutien.
CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :
- Rédactrice en chef adjointe et webmaster d'Extended Player. Amoureuse du rap français et des bonnes punchlines, je pilote la section rap du mag depuis que j’ai 11 ans (oui, déjà !). En parallèle, je suis communicante freelance et chef de projet web, avec une expertise en e-commerce. Toujours connectée, toujours à l'affût des sons qui parlent et qui touchent !
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Un concert à toutes les générations se sont mêlées dans une ambiance magnifique et survoltée, digne! Des minots qui découvraient Massilia Sound System en live pour la première fois comme des papets qui en prenaient plein le teston sur des morceaux de rap enragés. En espérant que cette soirée ne soit que le point de départ d’un mouvement qui s’inscrira dans la durée. Le Peuple ne peut compter que sur lui-même pour améliorer sa condition. Réveillons-nous, organisons-nous ! Longue vie au Molotov.