N’avez-vous jamais eu l’impression d’être exactement là où vous devez être ? De vivre quelque chose de grand en direct ? Un moment majeur de l’Histoire qui vous fait dire qu’après lui, rien ne sera plus jamais pareil ? Eh bien c’est exactement ce que j’ai vécu ce vendredi 30 mai 2025 au concert anniversaire des 30 piges du Troiz à l’Espace Julien.
Le Troiz ? Je parle bien sûr du 3e Œil, ce groupe mythique du rap marseillais formé par les deux MC, Boss One et Mombi dit Jo Popo (anciennement accompagnées des DJ Ralph et Bomb) en 1995.

30 ans de carrière, bien sûr que ça se fête ! Et histoire d’être à la hauteur de l’événement, le duo massilio-comorien et son équipe ont mis les petits plats dans les grands avec une exposition dédiée à leur longue épopée dans le rap français d’abord, puis une soirée de concerts exceptionnels ensuite. Pur produit du premier âge d’or du rap marseillais et du célèbre label Côté Obscur, le 3e Œil est arrivé dans le sillage des deux premiers grands crews hip-hop de la Cité phocéenne : IAM bien sûr et la Fonky Family.

Entre leur premier succès national, « La vie de rêve » sur la BO du film Taxi de Luc Besson, leur mix-tape (1998), leur premier album devenu classique …Hier, Aujourd’hui, Demain (1999), leurs nombreux EP, leurs diverses apparitions brillantes sur de nombreux projets (notamment les compilations légendaires Chroniques de Mars, Sad Hill, 13 [et Classico] Organisé) mais aussi leur dernier album en date, Renaissance, sorti en 2022, ils avaient largement de quoi faire un show immense à leur gloire. Mais plutôt que de s’accaparer toute la lumière d’un soir, ils ont préféré la partager – dans la plus pure tradition hip-hop – avec tous les artistes qui ont jalonné leur carrière, qu’ils viennent de Marseille ou d’ailleurs.

Le matin du concert, je partageais en story le Réel d’un mec qui déplorait et tentait d’expliquer pourquoi les concerts de rap avaient perdu en qualité ces dernières années. Par ce move, est-ce que je savais à l’avance que les Anciens et leur squad allaient nous donner une formidable leçon de hip-hop en live ? Bien évidemment que oui.

Au menu de la première partie de soirée ? Une grande fête hip-hop de plus de trois heures durant laquelle se sont succédé sur scène SKBZ, la Guirri Mafia, Sultan, Sako, F-Dy Phenomen, Faf Larage, Carpe Diem, Puissance Nord, Demi Portion et Les X, tous venus nous livrer des performances à la hauteur de l’événement. Le tout bien sûr accompagnés à tour de rôle par DJ Elbino, DJ Daz, DJ Soon et DJ Djel aux platines. Sans oublier bien sûr ce bon vieux K-Meleon qui reste encore, toujours et incontestablement le meilleur ambianceur de Marseille.

Mais tout ça, ce n’était que l’apéritif puisqu’à partir de 22h, les héros du soir, Jo Popo et Boss One, sont enfin montés sur scène pour rapper la gloire du 3e Œil. Là encore, ils auraient gardé ce moment rien que pour eux que ça n’aurait gêné personne. Sauf qu’une fois encore, dans leur éternelle générosité, ils ont préféré la jouer collectif.

Après quelques sons du Troiz en live pour lancer les hostilités, Bouga et Al Iman Staff ont pris le micro pour faire vibrer Marseille aux sons de leur morceau mythique respectif, « Belsunce Breakdown » pour l’un et « Mets les Gosses à l’abri » pour l’autre. Boss One et Mombi ont ensuite repris la scène en main, mais en donnant la part belle à l’interprétation des plus grands featurings de leur carrière. Ainsi, Demi Portion est venu rapper « Tourner », Sultan, Menzo et Solda ont signé un formidable trio d’invités sur « Comoria », Fred de Labo Clandestino a sublimé « Amitiés Gâchées » en acoustique avec sa guitare, El Matador a posé sa brique sur le légendaire « Hymne à la Racaille » et REDK a accompagné nos trentenaires de carrière sur « Balle dans le dos », l’un des titres majeurs de leur dernier album « Renaissance ».

Ce morceau vient d’ailleurs faire écho à un autre moment fort de la soirée : le vibrant hommage fait à Ibrahim Ali, ce jeune du quartier des Aygalades [15e] tué de ce mode opératoire à 17 ans par un lâche, un colleur d’affiches du FN le 21 février 1995. Sur une note un peu plus positive, IAM, sans qui le rap marseillais (et français) n’aurait jamais été le même, a aussi eu droit à un tribute digne de ce nom sur « Demain c’est loin ». Dommage toutefois que le groupe (à l’exception de Tonton Imhotep), n’était pas là pour le voir de ses propres yeux.

Pour en revenir aux performances du Troiz et des artistes présents avec (et pour) eux ce soir-là : « Y’a pas le choix, sans Shurik’n donc, mais avec la survoltée Sista Micky, « Ça vient du cœur » en collab avec Ahamada et Dgun, « Adieu la Galère » accompagnée par la douceur vocale de la chanteuse Kat Music, celle-là même qui a enchaîné sur le classique « Tu me plais » de Def Bond en lieu et place de K-Reen, sont autant de perfs qui m’ont donné des frissons au rythme des bpm.

Je parle de tous ces morceaux avec beaucoup d’émotion. Pourtant, je vais être honnête, je ne les connaissais pas tous. Simplement car même si en faisant mes classes dans le rap depuis plus de quinze ans, j’ai appris à connaître et à reconnaître la plupart des classiques de cette culture, le hiphoper que je suis n’avait pas encore un an quand le 3e Œil débarqué dans le game. Mais bon, le rap et le hip-hop étant pour moi une affaire de passion, de partage et de transmission, j’estime avoir été à ma juste place en dépit de quelques lacunes. « À moi, tu me parles pas d’âge » comme dirait Kyky de Bondy.

Mais vous vous en doutez, le pinacle de cette célébration des 30 piges du Troiz, c’était évidemment son final d’anthologie « Le retour du Shit Squad », cet immortel classique interprété en live par le crew (presque) au grand complet. Quand bien même K-Rhyme Le Roi et Akhenaton manquaient à l’appel Le Rat Luciano, Sat, Don Choa, Menzo, Freeman, Faf Larage, Jo Popo et Boss One ont tué ça tous ensemble, sous les yeux d’un public en folie !

 

Ajoutez à ça le fait que tous les artistes de la soirée sont remontés sur scène en même temps pour profiter de ce moment de liesse indescriptible, et vous comprendrez pourquoi nous avons vécu l’un des plus beaux moments de rap marseillais de tous les temps. Franchement, aucun superlatif ne peut suffire à qualifier l’ampleur des émotions qui ont submergé la salle à cet instant. Désolé pour les absents, mais pour comprendre et saisir toute l’intensité de ce moment extraordinaire, il fallait y être.


Après tout ça, le week-end aurait pu être parfait dans la Cité phocéenne. Le « Aux Armes » et les chants anti parisiens entonnés en cœur par les artistes marseillais et tout le public de l’Espace Julien durant la soirée n’ont malheureusement pas suffi à empêcher le PSG de triompher dès le lendemain en finale de Ligue des Champions. Ça fait mal, mais si eux aussi peuvent désormais se vanter d’avoir l’étoile sur le maillot, nous au moins, on a le 3e Œil. Et cette fierté, jamais rien, ni personne ne pourra nous l’enlever.  



CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Jérémie Leger
Jérémie Léger est journaliste indépendant installé à Marseille. Passionné de rap et de jeux vidéo, il signe des articles pointus et engagés pour des médias comme Booska‑P, Konbini, IGN France ou Pix’n Love. Il aime creuser les sujets, faire parler les artistes et mettre en lumière ce qu’on prend trop souvent à la légère.
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