Aujourd’hui sur les réseaux, tout le monde en parle, et il faut dire, à juste titre, que le premier Vélodrome d’IAM ce n’est pas rien ! On en arrive même à se demander comment est-ce possible que le groupe n’ait pas performé plutôt dans ce temple bleu et blanc de la Cité Phocéenne.
IAM, c’est tout de même 40 ans de carrière, l’album de rap le plus vendu de l’histoire, la première mixtape du rap français, et tout un héritage que ce groupe à trois lettres (acronyme d’Imperial Asiatic Men) nous a légué, tout en continuant à enrichir cette culture.
Le premier stade Vélodrome d'IAM :
Un concert événement dans un lieu mythique
Le Vélodrome, lieu phare de Marseille, leur ville d’origine. Un concert emblématique avec plus de 55 000 spectateurs : il fallait y être et cela se devait d’être mémorable. En tant que journalistes, on se doit d’être honnêtes. Le verdict sur les réseaux : des louanges à tout va. Mais la réalité est plus nuancée. On vous explique :
Une fin de concert légendaire réunissant plus d'une vingtaine d'artistes
Ces dernières années, on était plutôt servi en termes de grands moments de rap marseillais : la reformation de la FF sur leur tube “Art de Rue” en clôture du concert solo du Rat Luciano à Marsatac en 2023. Deux ans plus tard sur la même scène, La FF qui lors de son concert marseillais événement a signé “Le Retour du Shit Squad” au (quasi) grand complet. Un morceau iconique joué quelques semaines plus tôt dans une vibe plus underground au concert des 30 piges du 3e Oeil à L’espace Julien. Bref, le rap marseillais était en forme dernièrement et c’est peu dire qu’on attendait quelque chose d’au moins tout aussi marquant pour le final du concert d’IAM. À ce niveau, on a clairement été servi puisque le spectacle s’est fini en apothéose, avec une performance titanesque qui, à coup sûr, restera à jamais gravée dans les livres d’Histoire de cette culture.
C’était tout simplement du jamais vu : plus d’une vingtaine d’artistes sur scène pour interpréter le célèbre titre « Demain c’est loin ». Un final riche en sens qui montre bien cette passation entre les « pionniers » du rap, et les rappeuses et rappeurs qui leur succèdent, toutes générations confondues.
Sur scène, par ordre de passage : Abd Al Malik, Relo, Scylla, Vincenzo, Just Shani, R.E.D.K., BigFlo, Demi Portion, Infinit, Médine accompagné par Wally Dia, Dinos, Veust, Napoleon Da Legend, Youssef Swatts, Dany Dan, Caballero, Oli, Allen Akino, Oxmo Puccino, Jean Jass, JMK$.
Pour beaucoup des artistes présents, cet instant était suspendu dans le temps, de l’ordre du rêve éveillé. Le lendemain du concert et les quelques jours qui suivirent, la toile fut inondée de stories et de posts vantant les mérites de cette initiative, et relatant l’exaltation du moment. Quel plaisir de voir des artistes, que beaucoup de fans ont tendance à sacraliser, faire tomber le masque et retrouver l’innocence et l’admiration de leur jeunesse. Vraiment, pendant les balances et durant le show en coulisses, ce n’était plus le gratin du rap français qui attendait de monter sur scène, mais une colonie de vacances remplie de gamins passionnés et admiratifs devant ce groupe qui les a forgés.
On vous partage, en guise d’exemple, la story de Scylla, qui témoigne de l’importance de ce passage sur scène, aux côtés d’un groupe qui l’a tant inspiré :
« Flash-back : Il y a quelques mois, je recevais un appel d’@akhenatoniam qui m’annonçait qu’IAM jouerait un concert d’anthologie à Marseille au fameux stade Vélodrome, devant 60.000 personnes. Il me confiait que le dernier morceau qu’ils joueraient sur scène ce soir-là serait « Demain c’est loin », et qu’ils aimeraient que je sois présent pour interpréter une partie de ce texte avec eux sur scène. Irréel. Vous savez a priori tou.te.s de quoi on parle ici. On parle sans doute du titre le plus légendaire de l’histoire du rap FR. Le « Classique des classiques ». @iam.officiel étant pour moi le groupe de légende par excellence, imaginez donc ce que cette invitation représentait pour moi. Ce concert a eu lieu hier soir. Et ces 2 derniers jours ont clairement été l’un des moments les plus forts de ma carrière. Le seul moment qui ait pu autant me replonger dans les saveurs de mon enfance / adolescence. « Scylla » n’était pas présent hier sur scène ou dans le public. Il n’existait même pas. Je ne connaissais pas son existence. J’avais 16 ans, les silhouettes de mes frères autour de moi. Abdel, Deb, Bef, … Ils chantaient avec moi Samouraï, Les miens, etc. Cet enfant de 16 ans qui errait dans les rues de Bruxelles de longues heures la nuit, juste pour écouter ces titres en boucle dans son Walkman. Un enfant avec une sensibilité exacerbée, qui a trouvé dans cette musique un véritable refuge, la force de vivre, et de le faire intensément. »

Des invités de marque : DE DJIBRIL CISSÉ À MÉDINE EN PASSANT PAR SCYLLA OU ENCORE LA FONKY FAMILY AU GRAND COMPLET
Au-delà des invités de cet ultime morceau, d’autres guests ont fait leur apparition tout au long du concert et, soyons honnêtes, ce sont bien ces surprises qui ont fait de ce concert quelque chose de mémorable. On aura vu de nombreux musiciens et compositeurs : Sébastien Damiani, Fumie Hihara, Christophe Julien, etc. L’apparition de ces musiciens a apporté une véritable valeur ajoutée, offrant une interprétation singulière pour chacun des morceaux.
Dreddy et Timbo King sont également apparus sur le morceau « La Saga », un clin d’œil à l’un des premiers ponts créés entre New York et la France dans le rap, notamment à travers la passion d’Akhenaton pour la scène new-yorkaise.
Parmi les autres invités : un grand nombre de « tontons » du rap français, figures incontournables pour un public qui les a découverts dans sa jeunesse. Calbo et Lino d’Ärsenik, Faf Larage, Wallen, Pit Baccardi, Passi, Stomy Bugsy, et bien sûr les Marseillais tant attendus en cette soirée symbolique : la Fonky Family au grand complet, Bouga, Def Bond, Karim le Roi.
Parmi les personnalités présentes, notons aussi la présence remarquée de Wally Dia, fidèle soutien du rap indépendant, et de Djibril Cissé, preuve que le rayonnement d’IAM dépasse largement les sphères musicales
Les invités, enchaînés rapidement, n’ont pas eu l’occasion d’être présentés ou mis en valeur. Résultat : les connaisseurs savaient, les autres adhéraient… ou non, sans forcément saisir l’importance de ce qu’ils voyaient. C’est d’ailleurs ce qui rend d’autant plus étrange le choix de mettre en lumière un seul invité en particulier : Khaled, icône du raï, certes légendaire, mais aussi avec de lourdes accusations et condamnations à son actif. Dans un concert où IAM avait fait le choix assumé de ne pas prendre la parole et de laisser parler uniquement la musique, le fait qu’Akhenaton prenne la parole précisément pour saluer Khaled crée un paradoxe difficile à ignorer : le seul guest mis en lumière verbalement sur scène est aussi celui dont la présence pouvait légitimement soulever des questions. Un éclairage discutable dans un show où beaucoup d’autres artistes, engagés, influents ou symboliques, n’ont pas eu cette reconnaissance.
Les grands absents ? Les deux membres du 3e Œil. Une absence d’autant plus marquante que le célèbre « Shit Squad », souvent repris dans les concerts marseillais, n’a pas été interprété. On apprendra plus tard que ce morceau n’est plus en adéquation avec la mentalité actuelle d’Akhenaton. Une décision qui peut déplaire, mais qui ne surprend pas vraiment compte tenu de ce qu’il rappait sur son morceau “Une journée chez le diable” et qui témoigne surtout de l’importance des valeurs du groupe.
A celles et ceux qui argueront néanmoins que ce morceau fait partie de l’histoire du rap marseillais et que son aura de toute considération individuelle, imaginez-vous Ali de Lunatic, aujourd’hui en marge et plus que jamais en phase avec sa spiritualité, interpréter sur scène un morceau comme “Le Crime Paie” en big 2025 ? CQFD.
Cela dit, l’absence de Jo Popo et Boss One reste incomprise, surtout face au nombre d’invités présents. À défaut de porter cet immortel classique de la première compilation Chroniques de Mars (sans Freeman), n’auraient-ils pas pu, eux aussi, poser leur pierre sur cette incroyable reprise “All Stars” de “Demain c’est loin” ?. D’autres grands absents sont malheureusement à déplorer, à l’instar de Soprano, SCH, Prodigal Sunn ou encore Youssoupha, mais Akhenaton a su désamorcer la chose en justifiant leur absence par des incompatibilités de planning dû à des concerts déjà calés ou des obligations personnelles. Un nom a tout de même été passé sous silence : celui de Jul, qui aurait pourtant tout à fait pu interpréter son couplet sur la version 13 Organisé de “Marseille la Nuit”. On ne connaît à ce jour pas les raisons exactes de son omission, mais il est évident que sur un concert axé sur la transmission et l’héritage du rap marseillais, ça fait tâche, encore plus quand on sait ce que représente l’OVNI dans son paysage. Un acte manqué en somme.
Les DJs au cœur du concert
Impossible de parler de hip-hop sans évoquer les DJs. Leur mise à l’honneur était essentielle et bienvenue. DJ Djel, DJ Daz, DJ Cut Killer et Kheops réunis sur scène : un moment marquant qui rappelle que le hip-hop, c’est aussi (et avant tout) une culture de platines, de scratchs, de sélection.
"Je suis Marseille" : une nouvelle génération sur scène
Autre moment fort : « Je suis Marseille », morceau issu du projet 13’Organisé lancé par Jul. Un projet pensé comme un pont tendu vers la nouvelle génération d’artistes marseillais, en leur offrant un espace de reconnaissance porté par les figures historiques. Sur scène : Akhenaton, Shurik’n, L’Algérino, Alonzo, Fahar et Le Rat Luciano — tous représentants de la première vague — ont célébré la vitalité d’une scène qui se renouvelle. Le public a vibré, même si Le Rat a fâcheusement connu un petit couac de mémoire en oubliant son texte..

Un show inégal malgré l’ambition
Notre invité favori reste Kalash. Sa vibe plus dansante a offert une respiration bienvenue dans un spectacle globalement monotone. Car oui, malgré la présence de guests et une scénographie grandiose, les trois heures de concert manquaient de liant. Le choix de laisser parler la musique en enchaînant simplement les morceaux sans interaction avec le public a nui à l’émotion et à la spontanéité du moment. Les invités, enchaînés rapidement, n’ont pas eu l’occasion d’être présentés ou mis en valeur. Résultat : les connaisseurs savaient, les autres adhéraient… ou non, sans forcément saisir l’importance de ce qu’ils voyaient.
À cela s’ajoute le plus gros problème du show, celui qui a fatalement cristallisé tous les autres de son. Bien sûr, on vous entend déjà nous dire que le son dans un stade n’est jamais très bon, à raison que ces lieux, aussi prestigieux soient-ils, sont davantage faits pour accueillir des événements sportifs que musicaux. Et vous aurez raison, mais force est de constater, après avoir assisté à plusieurs gros concerts au Vélodrome ces derniers mois et ces dernières années, que le son de celui d’IAM, tient sa place tout en bas de la tiers list.
Le Virage Sud, où nous étions installés, a été particulièrement mal servi. Le son y était brouillon et les basses bien trop fortes. Il en a résulté une cacophonie rendant fatalement difficilement perceptibles les paroles et nuances des morceaux. Pour un groupe dont les textes ont davantage vocation à être écoutés plutôt que d’être simplement entendus au vu de la puissance des messages qu’ils véhiculent, c’est un comble qui est malheureusement venu noircir le tableau et ternir l’expérience globale.
Outre le côté sud, nous avons également eu écho de problèmes similaires dans d’autres zones du stade, sans pouvoir confirmer s’il s’agissait d’un écueil généralisé. Certains ont évoqué le décès récent d’Arnaud, régisseur son/façade historique du groupe – à qui AKH a d’ailleurs rendu un vibrant hommage en fin de show – comme un élément pouvant expliquer, au moins en partie, cette défaillance. Une perte humaine tragique, mais difficile à relier avec certitude à la qualité sonore du soir. Quoi qu’il en soit, l’impact sur l’expérience du public reste bien réel.
Silence de scène et engagement absent
IAM, groupe historiquement engagé, n’a délivré aucun message politique fort ce soir-là. Une absence de discours et d’interactions avec le public qui a pu surprendre, voire décevoir, tant le groupe a toujours su manier la parole avec force et conscience. Ce silence prolongé, combiné au manque d’échanges directs, a contribué à cette impression de distance ressentie durant le show.
le seul véritable moment de connexion émotionnelle s’est produit lorsque Akhenaton a dédié une chanson à sa mère, accompagné de Sébastien Damiani au piano pour interpréter « Mon texte, le savon ». On se consolera en se disant qu’ils ont préféré laisser parler la musique… et surtout, à défaut d’avoir eu un bon son, leur scénographie.
Conclusion : un concert marquant… mais pas optimal
Le 24 juin au Vélodrome a marqué les réseaux et les artistes. Moins le public. Sauf ceux aux premiers rangs, qui ont pu ressentir comme personne dans la fosse ou en tribune, la ferveur de ce moment. Si l’objectif était d’offrir « un condensé de tout ce qui a fait l’histoire de IAM, sur presque 40 ans » (France 3 Régions), la mission est accomplie. Un enchaînement impressionnant de morceaux, mais sans réelle cohérence ni transition. Du très émotif « Lettre » à un remix joyeux d’« Offishal » avec Kalash, puis un retour à des morceaux plus posés…
C’était long. C’était beau. Mais parfois un peu linéaire. Un concert impressionnant par son ambition, mais qui manquait de chaleur humaine par moments. Oui, le public a dansé (Le Mia !). Oui, il y avait de la magie. Mais le souffle émotionnel, celui qui bouleverse et qui marque à vie, ne semblait pas au rendez-vous.
CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

- Léa Sapolin & Jérémie Léger
- Deux journalistes passionnés basés à Marseille, souvent croisés dans les mêmes concerts ou conférences de presse rap, il fallait bien qu’un jour ils co-signent un papier. Rédactrice en chef adjointe du magazine, Léa Sapolin est aussi chef de projet Web et communicante, en plus de piloter la rubrique rap depuis l’adolescence. Jérémie Léger, lui, est journaliste indépendant. Il collabore avec des médias comme Booska‑P, Konbini ou IGN France, avec une prédilection pour les sujets profonds et les interviews fouillées. Ensemble, ils partagent la même envie : parler du rap autrement, avec passion et précision.