Espace Julien, Marseille« Rares sont les rappeurs au discours constructif, critique et pourtant optimiste. Disiz fait partie de cette minorité qui, comme le rappelle le titre de ses albums, fait preuve de lucidité. Tant dans ses chansons que dans ses romans, il semble révolté, inquiet. À travers ses titres il évoque des thèmes tels que la surconsommation, la crise économique, la suprématie McDo, l’évolution numérique, etc. Mais il fait aussi référence à toutes ces petites choses qui participent au bonheur. À travers « René », son dernier roman retraçant l’histoire d’un ado adulte victime de son environnement, l’artiste écrivain imagine le tournant que pourrait prendre notre société. Élection de l’extrême droite, francisation des prénoms, banalisation des rapports sexuels chez les nouvelles générations, majorité légale abaissée à quatorze ans, retour à la peine de mort, adoption académique du langage intuitif… tant de mesures qui auraient pu ou pourraient effectivement bel et bien entrer en vigueur en France. François Hollande a été élu, mais qu’en serait-il si Marine Le Pen l’avait été ? »

« Intrigué par le personnage, ExtendedPlayer a voulu partir à la découverte de cet artiste unique en son genre. »

ExtendedPlayer : En quelques mots, pouvez-vous nous peindre votre vision du monde actuel ?

Disiz : J’ai une double vision : une de l’occident et une du reste du monde. Je pense qu’il y a un côté désenchanté et cynique en occident avec une grosse part de manipulation. Mais, j’ai foi en la bonté du peuple. Quant au reste du monde, je pense que parfois, il y a un manque d’ouverture.  Et contrairement à l’occident où il y a trop d’individualisme, dans le reste du monde il n’y en a pas assez, particulièrement en Afrique. Il faudrait trouver un équilibre.

ExtendedPlayer : Dans « René » vous évoquiez des mesures politiques à ne pas prendre, quelles seraient, pour vous, celle à prendre en France ?

Disiz : Si j’étais président et qu’on m’octroyait le budget suffisant, je m’intéresserais tout d’abord au système éducatif, ensuite au travail. Je ferais beaucoup de choses pour les agriculteurs, et pour tout ce qui concerne la nourriture, afin d’effacer tout le cynisme et  la mainmise des grosses entreprises agroalimentaires. Ce serait mes priorités, le reste me semble moins important.

Disiz, Espace Julien, Marseille, 01/12/2012ExtendedPlayer : Dans votre roman comme dans « elle t’a eu » (chanson tirée de l’album « Extra-Lucide »), où vous dites qu’il vaut mieux être accro au sucre ou à l’alcool qu’au sexe, vous dénoncez la banalisation des rapports sexuels chez les nouvelles générations.  Puisque le sucre et l’alcool sont nocifs à la santé, alors que le sexe ne l’est pas, pourquoi préférer ce qui pourrait être nocif ?

Disiz : Ça dépend de ce que vous entendez par « pas nocif », car quand on voit l’hypersexualité des ados aujourd’hui, on constate que beaucoup ont des rapports sans préservatifs. Les MST sont dangereuses pour la santé. Après, même si les rapports sont protégés, on peut distinguer santé physique et santé mentale. Combien de filles ou de jeunes garçons ne croient plus du tout à l’amour, et aux relations sentimentales. Ils ont une vision du sexe opposé qui se résume seulement à l’idée de « chair ». Je pense que cela peut durer un temps, mais si l’on est épicurien seulement. Sauf que je ne pense pas que tous les jeunes soient épicuriens. Ce n’est pas un choix de vie, ou une philosophie telle qu’aimer le bon vin ou le bon fromage. Non, c’est juste les premiers instincts, les plus faciles et les plus immédiats. Et lorsqu’on grandit, je pense que certaines filles se dégoutent d’elle-même, certaines se suicident. Je sors les grands mots, mais c’est une réalité.

ExtendedPlayer : Donc quand vous dîtes « mieux vaut être accros au sucre, qu’être accro au uc » (« uc » signifiant « cu » en verlan), vous évoquez le « uc » sans amour ?

Disiz : Exactement. C’est à ce niveau-là, au niveau de l’aspect premier instinct.

ExtendePlayer : Dans René, de qui ou de quoi vous êtes-vous inspiré pour le personnage de Balna (ex-révolutionnaire, héro qui se transforme au cours du récit en ennemi redoutable) ?

Disiz : Je me suis inspiré de l’histoire de Gorée. Celle-ci est similaire à celle d’Auschwitz où, pour surveiller les déportés, les prisonniers et tous ceux qui étaient dans les camps de concentration, on mettait un jeune juif souvent très beau, ou une jeune juive souvent très belle. Pendant les cinq siècles d’esclavage, à Gorée, une des forces du colon était d’avoir posté un noir au niveau de la porte du non-retour. Ainsi, c’était un semblable, un révolutionnaire qui avait changé de camp, qui infligeait le dernier coup de fouet, d’où la relation que Balna avait avec René.

« À l’heure où les guerres de religion ne cessent de se multiplier dans le monde, Disiz, lui, ne semble voir dans sa religion qu’une fabuleuse manifestation d’amour. Un énorme cœur rouge en guise de pochette, et une phrase entendue lors d’une interview réalisée par le Figaro nous interpelle. Place aux explications.»

ExtendedPlayer : Après vous avoir entendu dire que « Tolstoï est arrivé à la foi par la raison », j’aimerais vous demander des explications ?

Disiz : Pour expliquer ce que je veux dire, je vous conseillerais le livre « Ma confession » de Tolstoï. Mais je vais vous faire une synthèse. Léon Tolstoï est un érudit et a eu un parcours et des expériences que peu de gens ont. Il a fait la guerre par exemple. C’est quelqu’un d’extrêmement instruit. Il est né dans une famille orthodoxe russe. Il avait la foi seulement parce qu’il était dans cette famille et qu’autour de lui il y avait beaucoup de ces cérémonies. Il raconte qu’à l’adolescence, il dormait avec son cousin, lorsque celui-ci lui a fait une démonstration aussi simple que celle-ci : « si Dieu existe et que je lui demande de faire en sorte que mon bonnet ne tombe pas par terre, et que si je le lâche celui-ci tombe, alors c’est que Dieu n’existe pas ». Comme c’était quelqu’un de rationnel, de raisonné et d’intelligent, il a perdu la foi de cette manière, aussi stupidement. Mais selon lui, il y a ceux qui croient en Dieu pour une raison tout aussi stupide.

Par la suite, à cause de tout ce qu’il a vécu, il a fini par être dégouté de l’être humain. Il est devenu complètement misanthrope jusqu’à ne plus croire en rien du tout. Il ne croyait ni en l’homme, ni au sens de la vie.  Ainsi, il tenta de se suicider. Et au moment de passer à l’acte, quelque chose l’a rattaché à la vie. Et comme c’est quelqu’un qui gamberge, et qui est extrêmement rationnel, il a voulu comprendre pourquoi, sans croire en quoi que ce soit, il était encore rattaché à la vie. Il est donc parti de ce point-là, et a fait toute une recherche métaphysique, de Socrate à Platon, bref il a cherché partout. Il a tout étudié : le bouddhisme, l’hindouisme, l’islam, le judaïsme, la chrétienté. Finalement, il en est revenu à sa religion d’enfant, donc la chrétienté. Sauf qu’il a effacé, par des recherches historiques, tout ce qui était du domaine du dogme, et en est revenu à l’essence pure de la parole de Jésus. Et puisque Dieu ne parlait que d’amour, il a conceptualisé le fait que Dieu n’était qu’amour. Il a ensuite développé toute une religion autour de ce concept. Il s’est mis à dos les orthodoxes qui lui ont fait des menaces de mort. Finalement, quand on réfléchit à tout ce cheminement, Tolstoï est quelqu’un qui est arrivé à la religion (à la foi, à la croyance de Dieu) par la raison.

« La lucidité n’est pas la seule singularité du personnage. En effet, après être passé du rap au cinéma puis du roman au rock, Disiz a multiplié les œuvres artistiques. Musicalement, il y avait « Disiz la peste », puis il y a eu « Disiz » tout court. On a ensuite assisté à une métamorphose et « Peter Punk » est apparu. Un arrêt du rap a été annoncé. Puis, finalement, il y a eu le retour de « Disiz ». Dans sa dernière trilogie « Lucide », « Extra-Lucide » et « Trans-Lucide » (prochainement disponible), le chanteur semble s’être trouvé. Explications :»

Espace Julien, Marseille, 01/12/2012Disiz : Mes trois derniers albums sont l’accomplissement de ma carrière. Dans des titres comme « Bienveillants », « Life is Good » ou même « Fête foraine », il y a du chant et un côté assez expérimental dans la musique. Ce sont des choses que je n’aurais pas pu faire si je n’étais pas passé par Peter Punk. Je pense que les thèmes et le fond sont identiques dans tous mes disques. Mais, plus j’avance dans ma carrière, plus je suis précis dans les thèmes que je vais aborder, sans pour autant que ceux-ci soient différents. Il en va de même pour le fond. Je pense que dans Peter Punk c’est la forme qui est différente. Les chansons comme « Jolies Planètes » ou « Faire la mer »  sont un peu comme « Nébuleuse » ou « Miss désillusion ».

« Peu nombreux sont les rappeurs faisant référence à des écrits dans leurs chansons. Profitons-en pour parler littérature.»

Extended Player : J’ai entendu dire que vous aviez changé d’orientation littéraire (délaisser les romans pour des écrits plus instructifs), pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Disiz : Ce n’est pas aussi catégorique que ça. Jusqu’à vingt-cinq, vingt-six ans je m’intéressais essentiellement à des romans. En revanche, je ne m’intéressais jamais à des essais, des biographies ou des autobiographies. Or, depuis trois-quatre ans, en plus de m’intéresser aux romans, je m’intéresse aussi à d’autres écrits. Je ne suis pas passé d’un genre à un autre. Je me suis intéressé à un autre genre.

Extended Player : Et si vous pouviez conseiller quelques livres à votre public en général, lesquels conseilleriez-vous ?

Disiz : Je conseillerais les livres qui m’ont beaucoup apporté dans la vie : « La vie devant soi » de Romain Gary, « J’irai cracher sur vos tombes » de Boris Vian, « L’alchimiste » de Paulo Coehlo, « l’Apaisement du Cœur » de Al-Ghazali, toute l’œuvre de Tolstoï, particulièrement « Ma confession » et « Ma religion », l’autobiographie de Malcom X, de Martin Luther King, et celle de Gandhi, « L’attrape-cœur » de Salinger, mais je pourrais en conseiller encore plein d’autres.

Interview de Disiz à l’Espace Julien, Marseille, 01 décembre 2012, réalisée par Léa Sapolin

 

Espacxe Julien, Marseille, 01/12/2012

 

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster d'Extended Player. Amoureuse du rap français et des bonnes punchlines, je pilote la section rap du mag depuis que j’ai 11 ans (oui, déjà !). En parallèle, je suis communicante freelance et chef de projet web, avec une expertise en e-commerce. Toujours connectée, toujours à l'affût des sons qui parlent et qui touchent !

Commentaires

  1. J’ai mal cliqué sur la note. Je voulais 4 et pas 1. Je trouve l’interview très bien montée. Simple, directe et efficace avec intervention musicales biens senties. Le bruit de fond (l balance d’u n autre groupe ?) est très forte au début, mais c’était les conditions de l’interview. En tout cas ça passe. Bravo.

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