Le Rap. Ce courant musical est souvent montré du doigt, victime de préjugés ou attribué à une classe sociale jugée comme inférieure. Si tel était le cas, alors pourquoi le MuCEM, lieu de prestige inauguré en 2013 et ayant cumulé plus de 3,4 millions de visiteurs dès la première année, aurait choisi de dédier un week-end entier au rap, et d’une manière plus générale, au hip-hop ?

Une seule réponse ne suffirait pas à justifier l’importance de cette culture. Plus qu’un mode de vie, plus qu’un simple moyen d’expression, le hip-hop traverse les temps, évolue avec la société et en devient son propre reflet.

La troisième édition de l’événement annuel « Chronique de Mars » a souhaité explorer un aspect spécifique du hip-hop : « les liens entre colère et création » faisant ainsi résonance à une Méditerranée contemporaine traversée par la crise, les révolutions, les dictatures.

L’événement a débuté avec un focus sur le beatboxing représenté par la jeune Tressym, vice-championne de France 2013 de Beatbox, et le marseillais DJ Rebel que l’on a connu au travers des albums d’IAM ou de Faf Larage. Les deux collègues nous ont offert une définition sonore du beatmaking et du beatboxing.

 [Le beatmaking consiste à créer des instrumentaux en arrangeant des samples (morceaux préexistants) et en les couplants, bien souvent, avec des boites à rythmes. Le beatboxing, quant à lui, se rapporte à la création d’un instru avec la voix.]

 

Photo de Tressym et Rebel

Chroniques de Mars III Mucem Marseille

 

Au cours de cette prestation musicale placée dans un haut lieu culturel, Tressym et Rebel abordèrent les multiples aspects de leur culture, traitant ainsi de sa dimension sociale, mais également de son histoire et de son émancipation. Puis, pour briser les idées reçues, la jeune Tressym  fit le choix de mêler harmonica et beatbox. Un spectacle sublimé par le caractère classe et distingué du lieu, apportant une dimension d’acceptation et de reconnaissance bien méritée à ces deux artistes et à leur passion.

Qui dit « hip-hop », dit également « graffiti ». Ainsi, personne ne fut surpris de voir une fresque de 15 mètres se dessiner sur le toit du MuCEM tout au long des 48h d’événements.

Photo de la fresque

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Le week-end fut toutefois marqué par les débats, véritables temps forts de ces deux journées consacrées au hip-hop. Le premier, composé de Olivier Cachin (journaliste), Nicolas Puig (anthropologue), Farid el Asri (islamologue), Diaz (rappeur algérien), Tewfik Hakem (journaliste) et Osloob (rappeur et producteur palestinien), a fait le parallèle entre le rap des États-Unis, le rap de France et le rap des pays du Maghreb.

Osloob a commencé à présenter sa vision du rap palestinien. Il commença par démontrer qu’à l’origine, toute la chanson contestataire palestinienne était plus ou moins rattachée à un courant politique et que l’arrivée du rap a permis aux artistes de se libérer de cette emprise. Il a ensuite ajouté que la période d’après-guerre a transformé le rap palestinien en apportant des sonorités issues d’Amérique latine et en plaçant la question du droit au retour et de l’occupation au cœur des propos. Il montra enfin que les rappeurs palestiniens présents au Liban ont renouvelé le discours politique, ne traitant plus de la question israélo-palestinienne, mais davantage de la situation des réfugiés dans les camps. Une thématique touchant un public beaucoup plus jeune.

Live de Osloob à Paris :

 

Diaz nous présenta quant à lui sa vision du rap algérien, en axant ses propos sur la diversité et la spécificité de celui-ci. Il nous expliqua que c’est tout un modèle de rap qui s’est créé au Maghreb, allant jusqu’à avoir un style, une approche, une technique, des instruments, et des langues différentes de ceux du rap américain. Il précisa également que le rap de son pays ne comprend ni égotrip, ni punchline et que les habituels « regarde-moi » sont remplacés par des « regarde quelque chose ». Diaz poursuivit en affirmant que le rap maghrébin prend sa spécificité dans sa localité. Ce qui signifie que le rap d’Oran, par exemple, est agrémenté de raï alors que le rap d’Alger comprend du Shâabi. Il finit par conclure sur l’universalité du rap, grâce à sa facilité d’accès. Selon lui, nul n’a besoin de faire du solfège ou de la littérature pour faire du rap. Le système D du hip-hop a permis son inscription au sein d’un courant mondial que chacun a fini par s’approprier et par transformer en produit local.

Clip de Diaz :

 

Photo du débat :

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C’était ensuite au tour d’Olivier Cachin de prendre la parole. Il présenta le rap français, son histoire et mit en évidence ses différences avec le rap américain, algérien ou palestinien. Il rappela que le hip-hop a d’abord été une musique de fête qui s’est ensuite radicalisée par l’arrivée d’Assassin. Puis, il affirma que le hip-hop français a, contrairement au rap africain, copié les productions musicales américaines, et que c’est par les propos et le phrasé que celui-ci se différencie. En effet, le rap français est plus sociétal et plus revendicatif qu’aux États-Unis. Il est également plus poétique. Olivier Cachin évoqua ensuite les tendances du rap actuel, reflétant davantage notre société de consommation et incitant ainsi à plus de phrases, de punchlines et d’égotrip, laissant une bonne partie de la revendication au passé.

Puis le débat s’est focalisé sur la place de l’islam dans le rap, révélant une grande variété d’expressions à ce sujet. Deux grands termes ont d’ailleurs été mis en avant : la « musulmanité » qui se réfère « à l’expression de soi, incluant la dimension de l’islam que l’on porte en soi », et « l’islamité », conséquence d’une écriture où l’on revendique clairement être musulman. La posture subversive, qui tente de déconstruire une image existante de l’Islam, que l’on constate en France, a également été mise en avant. Le rappeur Médine en est justement un bel exemple : il se revendique pleinement musulman et pleinement citoyen français, accordant autant d’importance à chacune des valeurs qu’il a acquis grâce à ces deux « statuts ». À ce sujet, Osloob souhaita préciser que la revendication musulmane n’est, selon lui, qu’une mode et que, comme Tupac le disait « tu crois que je suis le noir criminel, alors je vais te montrer le criminel que tu veux », les jeunes prennent plaisir à se faire passer pour les méchants musulmans et cherchent à être assimilés aux musulmans présents dans l’avion du 11 septembre.

Diaz, quant à lui, se révolta face à cette mode et accusa le lavage de cerveau infligé à son pays et qui, aujourd’hui, est la cause d’une sympathie bel et bien existante vis-à-vis de l’islamisme. En haussant le ton, il accusa les jeunes qui ne maîtrisent pas leur discours, se plaignant également d’un manque d’« adultes » dans le rap algérien.

Par la suite, le sujet se tourna vers la circulation du rap via les réseaux sociaux. Ce rap qui a permis à des artistes coincés à Gaza, en Syrie, en Jordanie, en Palestine ou au Liban, de se rencontrer « numériquement ». À ce sujet, Osloob expliqua comment, sans sortir de son camp, il a conçu, avec des rappeurs de ces différents pays, un morceau racontant un lieu fictif où les artistes s’imaginent se rencontrer, en interprétant chacun un rôle qu’ils connaissent bien.

Le débat fut ponctué par une définition du hip-hop : « une forme culturelle très souple, qui voyage et que l’on peut s’approprier ».

Le lendemain, l’accent fut mis sur les femmes et leur place dans la danse grâce à un reportage intitulé « BGirl » de Nadia Harek. Celle-ci, accompagnée d’une des danseuses du film, est ensuite venue répondre aux questions du public.

 

Photo de l’intervention :

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Le second débat fut ensuite lancé. Orchestré par Olivier Cachin, Nadja Harek (réalisatrice), Tressym (Beatboxeuse), Tina Mweni (rappeuse), Philippe Lemaire (spécialiste du hip-hop) et Jean-Marie Jacono (musicologue), il aborda la problématique suivante : « Le hip-hop, quelle création de formes ? Entre inspirations, adaptations et évolutions ». Quatre grandes thématiques furent mises en avant à travers ce débat : l’histoire du hip-hop, les raisons de son évolution actuelle, la place des femmes dans le hip-hop, et les médias face au hip-hop.

 

 

 

Clip de Tina Mweni :

Olivier Cachin nous rappela que le hip-hop est né dans les années 70 et qu’au départ personne ne croyait en ce courant, alors qu’aujourd’hui, comme le précise Jean-Marie Jacono, on sait que ce même rap défie l’analyse musicale. La place importante de l’accentuation, des mesures à 4 temps, du principe du flow tentant d’aller plus loin que la mesure, du détournement des disques par le scratch, du son taillé au rythme, et du choix des samples, fait de ce style musical une réinvention complète des principes existants. Les rappeurs sont donc bel et bien des héritiers de la musique populaire au même titre que de la musique savante. Puis, les participants au débat se rappelèrent également que le premier événement hip-hop fut organisé par une femme et, qu’en 1978, sur 18 disques hip-hop sortis, 7 étaient des albums portés par des femmes. Cela prouve l’importance de la gente féminine dans ce courant, dès lors l’apparition de celui-ci.  Ils mirent également en avant le fait que tous les rappeurs ont débuté avec la danse ; que Kanye West a été le premier à parler de ses faiblesses, engendrant ainsi de nouveaux thèmes abordés dans le rap ; et que 78 et le passage de « Je danse le Mia » au hit-parade, ont mis le rap sur le devant de la scène et l’ont enfin inscrit comme un genre musical à part entière.

Par la suite, le tournant pris par le rap français a été explicité. Tout d’abord, le changement de juridiction a induit une difficulté à se procurer des morceaux libres de droits pouvant être samplés, obligeant les artistes à se tourner vers la musique électronique (on ne peut plus reprendre légalement les sons des artistes américains comme on le faisait au début du Hip-Hop). De plus, la société de consommation actuelle incite les rappeurs à montrer une richesse acquise ou présumée au sein de leurs lyrics et clips. Et, pour finir, l’absence de politique à tous les niveaux engendre une disparition des idées et des revendications au sein du rap.

Ce week-end dédié à la culture hip-hop se termina par un concert exceptionnel et touchant de Osloob et Naïssam Jalal, accompagné, sur certains titres, de Diaz.

Photo du concert :

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Parallèlement, des clips d’artistes du pourtour méditerranéen ont été diffusés. Ces clips sont les suivants : Décalage (Mehdi Black Wind), Arabie (Iraka), Homemade (Reflex Man), Karkabou ft. El Hass & Abrasax (T.O.X.), Contrôle (Banis), A’am Badawwir ft. Jazzar (Kameh), Gaafar touffar Al Habou, Mabghitch (Don Bigg), TJR ft. Ahmed Soultan (Don Bigg), Capital City Crew (Shtella), Souris à la vie (Mer2Crew), Vipa ft. Massi, Bon ! (Pazaman & Vipa & Katybon), 2062 (Banis), Vue d’ensemble (L’Amir’Al), Mon vier maintenant (Muge Knight), Voodoo ft. Mulu (K.Méléon), School song (Palestine Street), Squad (KevØxFalkOnéxHyper Land), The same thing (La Méthode x Reverie x Dj Djel), Elements (Tina Mweni), Program (Dječaci), KiŜa Metaka – Skidaj Gaće ft Batman 3000, So & Sla7 #wachntam3ana, Unstoppable ft Juice Aleem (Loan).

Clip de K.Méléon : Voodoo ft. Mulu

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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