C’est au Dock des Suds, sur leur territoire, que nous avons pu interviewer Chinese Man quelques heures avant leur concert à la Fiesta des Suds ! Nous avons eu la chance d’avoir les trois acolytes en même temps, et on leur a parlé de leur nouvel album.

 

Bonjour à vous, tout d’abord pour éviter un mauvais départ, quelles  sont les questions qui vous gonflent et que les journalistes vous posent le plus fréquemment en interview ?

Zé Mateo : Pourquoi vous vous appelez Chinese man ! Celle la elle est relou.

High Ku : Vous vous êtes rencontrés comment ? Celle la aussi elle est bien ! (rires)

 

Vous êtes des personnages importants de la scène marseillaise, et vous avez fait un concert de soutien pour le Ravi qui a eu des problèmes financiers. Est-ce que vous soutenez comme ça d’autres institutions ou mouvements citoyens sur le territoire ?

SLY : On le fait occasionnellement quand on peut le faire. Il faut un minimum de circonstances, qu’on ai de la dispo, que ça ait du sens pour nous. On fait un truc pour SOS Méditerranée à la fin de l’année… On essaye de le faire, mais pas nécessairement en tant que figure marseillaise, parce qu’on ne le revendique pas. Le truc c’est que le Ravi c’est un projet local et qu’ils nous ont contacté assez facilement. La vérité c’est qu’on est plutôt engagé dans ce qu’on fait, dans nos projets et que si ça se duplique à autre chose, pourquoi pas…

 

Donc aussi à l’échelle nationale ?

High Ku : A l’échelle du Monde t’as vu !

 

Pour votre dernier album, Shikantaza, on sent l’ambiance des premiers albums, peut-être un peu moins électro… Vous avez essayé de renouer avec ce style des débuts ou ce n’était pas une volonté ?

SLY : Ouais ouais, carrément, sur les albums précédents on avait beaucoup collaboré avec des MC, des chanteurs, donc la musique était un petit peu en retrait. Là on a voulu se tester en reprenant les vieilles méthodes, c’est-à-dire en se réunissant tous les trois et en repartant de zéro pour créer un album. C’était pour voir si on avait progressé en tant que producteurs et on avait vraiment envie de se remettre dans la musique instrumentale. Le point de départ de l’album c’est celui-là.

 

Effectivement, sur les 2, 3 derniers albums, il y avait des featurings sur quasiment toutes les chansons.

SLY : Ouais, même on a fait une collaboration avec Tumi où il était présent sur quasiment tous les trails, donc c’est super intéressant aussi, mais c’est pas exactement le même boulot. On avait envie de revenir un peu aux bases et de voir si la musique avait changée en ne changeant pas la méthode, pour voir le résultat.

 

Vous êtes satisfait de ce résultat ?

Zé Mateo : Non, pas terrible (rires).

SLY : Non, bien sûr on en est content, on est content de l’accueil en plus et ouais je pense qu’on a fait ce qu’on voulait faire.

High Ku : C’est vrai que pour « Racing with the sun » on avait moins d’expérience, donc sur la fin de l’album, le mixage et tout ça avait été dur. On a fini des trucs, je me rappelle on était en mixage à Paris, il y avait un morceau qui n’était pas fini… Là on a jamais eu l’impression d’être pressé par le temps, on l’a fait de manière assez posée. Sur toutes les étapes, quand on enregistrait avec les musiciens et après quand on est allé faire le mixage, c’est d’autres gens qui ont mixé. On a su se détacher à un moment donné pour la phase finale du travail donc à la fois content du résultat et content du chemin qu’on a parcouru, de tout le processus de création… Parce qu’on n’est pas devenu fous, ce qui peut quand même t’arriver quand tu passes 2 ans, 2 ans et demi sur un album ! Voilà, on s’est pas disputé plus que ça et c’est cool.

Au niveau du processus de création, si j’ai bien compris, vous êtes partis en voyage pour rencontrer des musiciens et les enregistrer sur place.

High Ku : Ouais, ça c’est venu dans un second temps. D’abord nous on est allé en Ardèche, on a une maison où on pose vraiment les bases de l’album. On fait vraiment des maquettes, des extraits de 30 secondes, 1 minute de morceau, on essaye, basse, batterie, toujours des trucs comme ça nous vient. Ensuite il y a toute une phase où on se pose un peu en studio à Marseille, où on se dit « Bon, comment on va faire pour développer le morceau à partir de cette base-là », et de là on décide. Voilà on va proposer à des chanteurs et une des parties de ce projet là consistait à aller en Inde, pas forcément pour avoir un morceau très indien mais plutôt avoir des petites touches d’instruments indiens, un peu partout dans l’album, sans qu’on puisse forcément le différencier de qu’est ce qui a été enregistré là-bas et qu’est ce qui vient des samples. On a eu un peu le même processus après en France avec une section cuivre et avec un quatuor à cordes. Plus après tous les chanteurs et on a remis tout ça ensemble. On a reconstitué le puzzle.

 

Comment vous avez rencontré les musiciens indiens sur place ?

High Ku : Alors on a eu la chance que Mateo rentre en contact avec un producteur qui s’appelle Vivek. Il a un studio là-bas, on y allait tous les jours et tous les jours il y avait deux ou trois musiciens qui passaient. On leur avait fait des propositions avant mais en général ils n’avaient rien écouté avant d’arriver en studio, donc c’était vraiment sur l’instant.

SLY : Vivek avait l’oreille exercée, il est producteur de musique électronique et il s’y connait très bien en musique traditionnelle, donc très vite il savait avec quel musicien ça risquait de marcher. Il a fait un gros travail pour nous aussi de préparation. Il faisait aussi l’interprète, pas forcément dans la langue, mais on n’a pas le même langage musical. Nous on ne connait pas le solfège et tout ça, donc il était aussi l’interface entre nous et les musiciens.

 

Vous pensez tourner là-bas du coup pour le nouvel album ?

On a fait une date en DJ set. C’est un peu compliqué, on aimerait bien, mais c’est loin, on est nombreux, il faudrait trouver un relais sur place qui s’engage et soit prêt à nous faire venir. C’est pas impossible mais ça prendra du temps si ça se fait.

 

On a pu découvrir votre dernier clip sur le titre « Golden Age ». On peut y voir un cosmonaute qui s’enfuit d’un supermarché où les produits sont en apesanteur. Si cette musique avait eu des paroles, elle aurait parlé de quoi ?

Zé Mateo : Le clip, c’est le travail de Fred et Annabelle, le duo avec lequel on bosse depuis maintenant dix ans. Ils sont toujours assez libres dans les propositions qu’ils font donc là il s’agit un peu d’une suite dans un projet en lien avec l’album. Le premier titre c’était escape, où on voit du coup une fusée décoller et on retrouve cet astronaute. Là c’est la suite, il y aura peut-être une suite… Fred et Annabelle ont ce truc d’être un peu en marge de la société, ils habitent dans le Gers, ils font leur potager et à côté de ça ils font tourner des machines pour faire de l’animation. Ils ont toujours un regard assez décalé et un peu critique sans vraiment le vouloir, ils sont portés à raconter ce genre de choses. Principalement, je pense que ça représente bien comment nous on imagine s’engager par rapport à ce qui se passe dans le monde. C’est-à-dire que c’est pas écrit noir sur blanc dans des paroles ou quoi, c’est plus un constat, donc autant l’utiliser comme ont fait Fred et Annabelle, pour en faire un truc aussi esthétique. On ne dénonce pas non plus de manière très catégorique.

High Ku : En plus nous on n’arrive pas non plus avec une demande en disant « Ce morceau, ça veut dire ça », on a jamais dit « on pense à un cosmonaute qui rencontre des coquillages dans l’espace. » C’est eux qui l’ont décidé. Depuis le début, on les laisse complètement libre de travailler, c’est leur manière de faire. En gros à chaque fois ils nous expliquent un peu ce qu’ils vont faire et on comprend pas trop. (rires) On sait que quand ça arrive, on n’a jamais été vraiment déçu. Je pense que nous on arriverait beaucoup moins bien à interpréter notre musique en image, même si on a pu des fois un peu s’y frotter, mais après on les laisse faire. Ils sont géniaux.

 

Quand vous pensez votre musique, tu parlais d’engagement, de dénonciation, est ce que vous pensez à cette chose là à la base ou est-ce que ça arrive après dans le processus créatif ?

Zé Mateo : Non, ça n’arrive pas au départ. Enfin, c’est très rare… Ça n’existe pas en fait dans le processus de création. A l’origine c’est toujours le sample qu’on choisit qui nous guide sur le morceau et après c’est les arrangements, puis c’est des voix qui ont une texture. Forcément, inconsciemment ça joue puisqu’on est toujours imprégné des choses qu’on vit, donc les voix qu’on va choisir ont du sens pour nous et nous on les met là. Le discours de Malala qui est par exemple sur un des titres, c’est vraiment un constat du présent, il marchera encore malheureusement pendant un petit moment et le but du jeu c’est aussi de donner l’empreinte dans laquelle on est aujourd’hui. On prend ces positions là, mais c’est pas défini dès le départ en se disant « on va faire un titre hyper engagé ! » Au contraire, je pense que ça remonte tout seul.

 

Question de fan : où vous avez pris le sample de Indie Groove avec le son des manifestants ?

SLY : Ha ! Ça vient d’un vinyle de mai 68. Ils ont compilé sur un vinyle des discours, des extraits des infos de l’époque et tout.

Zé Mateo : On y entend Cohn Bendit d’ailleurs. A l’époque, il a 17 ans et une voix toute fluette.

SLY : Mais encore une fois, cet élément est arrivé après. Le morceau existait musicalement et on voulait trouver une résonance décalée avec la musique. On est tombé sur ce disque là et ça a collé en fait, tout simplement.

 

Vous avez dit au cours d’une interview que votre première ambition à la base c’était de monter un label. Finalement vous avez réussis et j’ai pu entendre pas mal de critiques vis-à-vis des majors, de l’industrie musicale actuelle. J’aurais aimé savoir quel sens est-ce que vous donnez à votre démarche. Par exemple, Birdy Nam Nam a récemment lancé son album en auto prod, complètement gratuit, avec tout un discours… Quel est votre sentiment sur l’industrie de la musique ?

High Ku : Moi je ne pense pas qu’on soit tellement dans la critique en fait. Quand on dit indépendant, ça va même dans le sens qu’on ne regarde pas vraiment ce qui se fait, on n’a jamais été opposé aux majors frontalement… Je pense que juste on tien à notre indépendance. Les majors sont l’une des composantes de l’univers musical aujourd’hui. Après je pense que nous, on est vraiment dans une logique d’essayer de créer un projet qui nous ressemble parce que tu peux faire un label indépendant dégueulasse, où tu ne paies pas les gens etc. Donc nous c’est plus l’idée de faire un projet qui nous ressemble, avec des gens qu’on apprécie et que ces gens-là, via ce projet-là, puissent vivre bien dans leur vie, sans devenir riche. Et dans la mesure du possible, je sais pas comment dire, l’objectif c’est de ne pas nuire aux gens autour de nous, que nous on fasse notre projet et qu’on se fasse pas non plus intoxiquer par des choses qui ne nous ressemblent pas. Mais on ne condamne pas, c’est juste que c’est pas notre univers et c’est pas notre réseau, mais c’est très bien qu’il existe aussi. Sinon on ne serait pas l’alternatif du coup !

Zé Mateo : Après, pour notre positionnement, il y a des critiques qui ont eu lieu au moment où la grande transition numérique est arrivée. Forcément les majors se sont senties dépossédées de leur grand pouvoir et plutôt que d’essayer de mettre de l’énergie à un réajustement de leur côté, on a plutôt créé notre initiative. On est pas les seuls à l’avoir fait. Je pense qu’il y a eu un gros déséquilibre et que là ça se réajuste avec des modèles qui sont plus approprié et plus adapté… C’est pas grave si on fait pas des millions et des millions de ventes, tant pis, il y a aussi d’autres formes qui existent donc je pense que c’est là qu’il y a aussi une sorte d’auto critique du système dans son entier, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas faire de la musique à sa manière.

Quand votre Shikantaza est sorti, quelques jours après votre album était en libre accès sur You Tube et c’est vous qui l’y avez mis.

SLY : Ouais, c’est ce qu’on fait à chaque fois, on met les morceaux. Puis nous c’est comme ça qu’on a été connu, du moins en partie. Par internet, forcément quand t’as un label indépendant t’as pas de soutien marketing et des trucs comme ça, donc pour nous ça a été un outil parfait. On a diffusé notre musique avant, gratuitement, et après les gens ont accroché, ils sont venus aux concerts, ils se sont rendu compte de comment fonctionnait le label et maintenant c’est un geste presque politique d’acheter un disque. Quand ils achètent un disque Chinese man records, ils savent qu’ils participent directement à un label indépendant et je pense que ça touche pas mal les gens en fait. Enfin, ceux qui nous écoutent en tous cas.

 

Il y a dix ans, lors de vos concerts, vous distribuiez des lunettes 3D vertes et rouge et à l’époque vous étiez à fond sur l’univers visuel. Vous avez continué dans ce sens ?

Zé Mateo : On n’a plus de lunettes ! C’était une bonne idée, mais techniquement c’était un peu compliqué, ça n’a pas toujours fonctionné. Mais sur le live il y a toujours énormément de vidéo, c’est … Je sais pas, 40% du show. Les lumières, la vidéo… Voilà, on a une petite prétention, c’est de faire un spectacle, plus qu’un concert. Donc il y a la vidéo tout le temps qui raconte une histoire en parallèle avec la musique, parfois ça se croise, et on a développé aussi beaucoup plus l’aspect filmé, live. On a maintenant un cadreur avec nous, pour montrer aux gens ce qui se passe aussi sur scène. Il y a des fois cette barrière, la musique électronique ça peut être un peu froid, c’est pas très clair pour les gens, donc on trouvait ça pas mal d’être un peu didactique, c’est pas non plus chiant. On montre 2, 3 trucs pour que les gens comprennent et voilà, soient plus immergés dans ce qui se passe. L’image a toujours fait partie du projet et on va le développer encore.

 

Vous avez une manière de faire de la musique qui est très « live » et quand on entend vos albums, et qu’on voit vos concerts, c’est pas du tout la même énergie qui se dégage. Vous mixez les chansons entre elles, c’est pas la même façon de faire. Est-ce que vous construisez vos albums comme des albums et quand vous préparez vos live vous cherchez cette atmosphère ?

Zé Mateo : Il y a à mon avis un truc qui se fait naturellement sans le vouloir. Mais quand on fait les morceaux, on les fait en pensant morceaux autonomes, pas liés au live. Après, c’est la déformation d’être DJ et d’avoir eu toujours cette tendance à ré orchestrer, à voir que sur une même compo on peut aller dans différents univers, ça aide vachement à la composition du live pour plein de raisons. Ça permet de lier plein de mondes musicaux, ou de changer les thématiques, d’accélérer, de ralentir… Oui au moment où on a composé l’album, même si on se le dit pas vraiment, on nourrit un peu secrètement le fait qu’il y a un morceau qui va vraiment bien passer en live.

SLY : Oui maintenant on a cette habitude quand on compose un morceau de se projeter et de se dire «  oui celui là on pourra le jouer en live, il y a des trucs à développer, il y a une direction différente qu’on a pas pris dans l’album qu’on peut exploiter en live… De plus en plus on est exercé à ça même si comme il dit, c’est pas forcément conscient. Mais on l’a toujours dans un petit coin de la tête. Le live c’est super important pour nous donc c’est toujours un peu présent quand on compose.

 

Est-ce que Chinese Man a encore des territoires musicaux à explorer après avoir surfé sur autant de styles, autant d’atmosphère ?

SLY : On espère ! Sinon on est un peu con (rires). Non, c’est la richesse du sample je pense.

 

Est-ce qu’un univers vous intéresse particulièrement en ce moment ou que vous n’avez pas encore exploré ?

SLY : On ne marche pas vraiment comme ça. C’est vraiment le sample qui nous emmène vers quelque chose On se dit pas « tien, il y a un sample africain, on va faire un truc africain. » C’est plus en fonction de si les choses nous parlent musicalement que ça nous amène quelque part, c’est assez instinctif la façon de faire. Donc il y a peu de styles qu’on a pas samplé, mais il reste certainement des choses à faire ouais. Notamment. Peut-être la musique un peu plus récente. On a pas samplé Phil Collins !

Zé Mateo : Ha je pensais à Genesis justement quand tu parlais !

SLY : On a pas samplé de techno par exemple, on pourrait tester, on est pas fermé à priori.

 

Quelques heures plus tard, on en a pris plein les yeux et plein les oreilles  devant la scène extérieure  de la Fiesta des Suds ! Visuels de folie, une armée de Mic survoltés, les sons fraichement sortis du studio déjà adaptés à la performance live… Que du bonheur .

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Vincent Carlier
Vincent est chroniqueur depuis 2015 pour Extended Player. Longtemps impliqué dans le milieu associatif marseillais en tant que président de PARNAS', Vincent a récemment créé son entreprise d'évènementiel, production audio-visuelle et assistance administrative : NATCHEZ MUSIC.

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