La Grand Bretagne est droite, impériale, rayonnante, sans défaut apparent, avec une reine exemplaire qui dirige une puissance aux membranes gigantesques venues s’étendre sur tous les continents. Une parure qui masque une réalité bien moins reluisante pour les classes populaires des banlieues aux extrémités des villes. Si le Grime a su mettre en lumière cette injustice sociale dans la capitale de l’Angleterre, Slowthai déboule comme un fervent défenseur du Nord du pays avec une attitude contestataire. Les dents parsemées d’une terre noirâtre remplaçant ses grillz, une encre reluisante sur son corps affichant des motifs revendicateurs et des traits de caractère comparable à une gueule cassée. A seulement vingt trois ans, il arrive avec une mâchoire de fer prête à déchiqueter les bras du pouvoir royal en amenant un mode de vie à la Trainspotting entre circulation de drogues en abondance et rave party vouées à finir en combat clandestin.

L’impertinence d’un gamin perdu

 Le titre de son premier album est explicite : la Grand Bretagne n’a rien à offrir. Slowthai y voit un pays pernicieux, prêt à broyer les entrailles de la classe populaire. Les yeux vitreux de gamin aperçoivent les failles du système depuis son poste d’observation dans les quartiers de Northampton. Il faut dire qu’il apparait comme le vilain petit canard, nuisible pour son entourage à cause de son tempérament borderline. Naturellement, une haine se développe envers son environnement. Des propos crus sortent de sa bouche, et cela, il nous le fait sentir dès l’introduction éponyme en insultant d’un ton sec la reine Elizabeth II. Sous de multiples références locales, il dresse ce portrait déchu à la peinture baveuse où chacun est contraint d’exécuter une routine All work no play. De toute manière, il comprend n’être qu’un bout de chair qui servira à nourrir l’Etat, crucifier en bas des immeubles aux briques rougeâtres de son quartier où sont suspendus fièrement des drapeaux de sa contrée depuis les balcons.

Il faut dire que son cadre de vie chaotique ne lui aura pas facilité la tâche pour croquer dans la pomme épicurienne. Il n’aura réussit qu’à s’accaparer d’un jus acidifié. Avec un père qu’il n’aura pas connu, éduqué par une mère ayant des difficultés financières, obligé de vivre à l’écart du centre-ville dans des logements sociaux qui aurait dû être un eldorado pour le jeune Tyron. Au lieu de cela, le district se verra vite remplit de crackheads utilisant la violence aigue pour acquérir leur dose. Un cadre qui l’obligera à grandir plus vite que les autres enfants. Grow Up exprime cette découverte trop brutale du monde désastreux qui l’entoure. Son attitude agitée s’entremêle par un franc-parler qui lui confèrera un instinct de survie, mais aussi de nombreux problèmes avec les fédéraux. S’illustrant comme un personnage confus dans Gorgeous, on y découvre un homme torturé par ses pensées instables, le menant dans une tranchée qu’il devra arpenter tel un loup solitaire. Car à Northampton, pas de gang, juste une bande de potes aux idées troublées par les drogues. Cela ne l’empêchera pas de se présenter au côté de Skepta, l’un des seigneurs de Londres, pour un ego trip sanglant sur un rythme grimmy, tout en se rebâtissant « bâtard glorieux ».

La testostérone à l’état pur

Il vous faudra prendre une grande bouffée d’oxygène pour pouvoir encaisser les basses venues percuter votre abdomen. L’exemple le plus frappant reste Doorman,composé par le remarquable Mura Masa. Un grésillement à une basse fréquence, surplombé de kicks ensorcelés, l’ensemble frôlant le fond sonore d’une usine de métallurgie. Slowthai y aborde un sujet délicat : la drogue sous son plus large éventail. Une plongée dans la cuvette d’une boite de nuit tiré de Trainspotting, et le voilà parti pour une mise en abime d’un amour toxique avec la nicotine, substitut essentiel pour son être. Un monologue de prévention vient conclure le morceau en dictant les mimiques d’un accro à l’héroïne, seringue sous la manche pour supporter la routine monotone d’un habitant du Nord.

Concernant notre bonhomme à l’allure de gitan Irlandais, il se limitera à la vente de weed pour gonfler le salaire de la famille. Les erreurs qui en résultent sont retranscrit dans Missing. Une ballade au tempo digne d’une déambulation de Michael Myers, et perturbée par une guitare électrique. Les conséquences de ce mode de vie l’empêchent de montrer une once de sentiment et en viendra à écorcher à l’aveuglette chaque personne empiétant sur sa vision. Pourtant, une femme aura su l’amadouer au point qu’il en deviendra dépendant à la manière du Crack. Une comparaison aseptisée mais qui résonne avec l’environnement dressé devant nos yeux. Dessus, un afflux de sample vocaux où T Dog s’essaye à un chant irrégulié. Toaster, l’autre morceau mélodieux, prend une direction fortement inspirée par The Streets avec un piano/guitare entre mélancolie et joie.

Pour autant, la vie reste un cauchemar qu’il se tarde de quitter chaque soir dans un sommeil remplit de rêverie. Dans Peace of Mine, il s’invente une autre vie en allant voguer vers ses propres flots. Avec frénésie, il nous exprime cette maladie causée par la réalité décousue nouée par un passé tumultueux. Il la détaillera dans Northampton Child, venu conclure l’album. Des violons angoissants galopent sur les batteries pour une introspection aux références bien spécifiques. Un étalage de ses travers, ses regrets, les folies acidifiées de son beau-père ou l’appartement familial étroit.

Ce cadre désastreux est celui de milliers d’enfants vivant dans la périphérie des villes Anglaises, et ses propos auraient pu tomber dans une banalité creuse. Pourtant, l’extrapolation due à une agitation incessante dans son flow, avec des lyrics défiant un cru parlé, nous transporte dans un monde au visuel marqué par les squats, les dealers et l’ultra-violence. Une rage au ventre vient nous englober.  Aussi terrible qu’un Orange Mécanique, aussi disjoncté qu’un Trainspotting et aussi absurde que la trilogie Cornetto. Il se montre comme un symbole pour cette Angleterre Nordique à l’accent écorché, parfois oublié au profit de la capital Londonienne. Toute la fièvre folle vient se concentrer dans le réceptacle qu’est cet album, proposant un large panel de sonorités sans perdre une miette de cette croûte qui le définit. Il pensait finir comme une potence pour l’Etat, et pourtant, Slowthai s’extrait de sa carapace pour nous conter les conditions poisseuses de Northampton.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Axel Bodin

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