Cela fait plus d’un mois et les chiffres ne cessent d’augmenter : trois bâtiments, puis quatre, puis 1600 personnes au total ont été délogées. Certains témoignent : « Je suis sorti du travail et mon bâtiment était scellé, je ne pouvais pas rentrer chez moi, je ne pouvais rien récupérer ». D’autres vivent à côté et racontent : « Notre bâtiment tient encore debout, il a été pris comme référence : des sondes ont été mises partout pour surveiller les moindres vibrations. Le quartier est vide, il n’y a ni lumière ni passage, tout semble éteint. C’est tellement triste. La nuit, on fait des cauchemars ».

Noailles est sans doute le quartier le plus vivant de Marseille, un des plus endémiques aussi : un quartier hétéroclite et animé comme on n’en trouve nulle part, un faubourg de la diversité où chaque pays semble s’être assemblé sur quelques rues pour peindre un tableau coloré d’une beauté sans pareille. Un quartier, une ville, poignardés en plein cœur, qui ne demandent qu’à renaître.

Face à ce désastre, il y avait eu un premier round : comme une bataille entre citoyens marseillais et cette administration locale désintéressée historiquement du destin de certains de ses habitants. Cette première lutte prit la forme d’un concert, un concert où vie et solidarité ont fait face à ces effondrements, cette gentrification (Découvrez notre report de ce premier événement). Elle a été suivie par un second, puis un troisième. Il y a eu les manifestations aussi, pacifiques pour le deuil, puis de colère. Les associations et lieux culturels se sont organisés pour veiller sur les victimes, les délogés et sur l’âme de la ville qui petit à petit perdait un peu de ses étincelles. Ce fut tel un réveil, les rues n’avaient jamais été aussi pleines, aussi solidaires.

Photo prise lors de la Manif de la colère

À force d’organisation et avec tout le naturel et l’amour que les artistes portent à leur ville, Marseille a su offrir à ses habitants des concerts de taille, pour aboutir à celui dont nous allons parler aujourd’hui.

Le rap ressurgit quand le dialogue et les revendications sont nécessaires. Et il n’y a que dans cette ville où l’on voit des plateaux de ce gabarit naître de solidarité. On pense au concert en soutien à Pone et à la maladie de Charcot ou au concert en hommage à Sya Style, beatmaker des Psy4 de la Rime.

À l’initiative de Sat (MC de la Fonky Family) et porté par New Castle, celui-ci s’annonçait colossal : une affiche qui en jette et laisse rêveurs les adeptes de HipHop. Les annoncés : IAM, Sat, Keny Arkana, 3e Œil, Faf Larage, R.E.D.K., K.Rhyme Le Roi. On savait qu’il y aurait des surprises, il y a eu aussi de l’inattendu.

À l’entrée de l’Espace Julien, la musique et les boissons tournent façon block party. Une fois les deux pieds à l’intérieur, le merchandising conçu pour l’événement nous fait de l’œil, l’occasion de remplir les caisses des associations.

Dedans, Daz mixe. C’est le DJ d’IAM. Il nous concocte, comme à son habitude, un petit set pour nous mettre bien. On apprend ensuite que Blacky Black est l’animateur de la soirée, ce fidèle des opens mics du Molotov est un des trois MCs de LKP.

La soirée commence. On envoie les dédicaces et remerciements : Molotov, Dar Lamifa, les bars associatifs y passent. Puis, on couronne d’applaudissements le collectif du 5 novembre Noailles en colère : ovation méritée. La tragédie des événements a bousculé la ville, sauf qu’ici la fatalité se fera terrasser.

Deux habitants du quartier prennent la parole : « On est solidaire entre nous parce que personne ne fera les choses pour nous ». Une minute de silence s’ensuit. C’est au tour d’Hazem, responsable du Molotov, et de Hafida de prendre la parole. Comme le précise Aurore, qui a fait le lien entre le quartier et les organisateurs, Hafida est celle qui a organisé les repas, récolté les vêtements et hébergé certains sinistrés. Ils demandent tous justice, c’est primordial. Hazem explique également la nécessité de voter aux prochaines élections, la situation actuelle ne peut plus durer.

La musique prend le relais sur ces belles paroles. C’est Dooz Kawa qui ouvre le bal accompagné par Dah Conectah et Dj Djel. L’artiste avait par ailleurs fait un clip à l’occasion de ce drame :

Dooz Kawa, Les rues de ma vie

Les a cappella s’enchaînent, « Ici même les étoiles sont noires ». Puis le deuxième morceau est accompagné de mandolines en résonances. Dooz Kawa et Dah Conectah sont venus de Strasbourg pour soutenir. Ce seront d’ailleurs, ce soir, les deux seuls artistes d’un cru hors terroir.

DJ PH et K.Rhyme Le Roi prennent le relais, avec énergie. K.Rhyme c’est tout « pour le Vrai HipHop », et avec revendications : Doigts en l’air et « Que justice soit faite » ! Le tout avant de « croquer le monde ». Il invite ensuite son protégé Kooseyl au rap plus chanté et aux codes plus 2018 que 90’s. C’est le moment de faire un zoom sur le public : on dirait qu’aucun âge ne prédomine, c’est plutôt hétéroclite. 

K.Rhyme Le Roi, HIP HOP

KOOSEYL, Paradis

Daz reprend les manettes, aux côté de Kheops. IAM fait son entrée. Le groupe est venu « partager la scène et des sourires ». Akhenaton, Kephren, Saïd et Shurik’n nous transmettent de la force. « Nés sous la même étoile », «Monnaie de singe » : leurs morceaux n’ont pas besoin d’être adaptés pour répondre aux besoins de la situation.

IAM, Monnaie de Singe

Faf Larage arrive ensuite. Il nous rappelle que c’est à l’Espace Julien, que la première date de sa première tournée a eu lieu. Il entame « Ma cause », puis « La garde meurt, mais ne se rend pas ». Il enchaîne les classiques et certaines bribes de mots ont trop d’impacts dans ce contexte : « Au centre de la bâtisse, un truc restauré froid et triste ». Le Muge est invité pour interpréter « le dernier défenseur ». Adikson et Al Iman staff sont également de la partie.

Faf Larage et Shurik’N,
La Garde Meurt Mais Ne Se Rend Pas

Dj Soon s’installe pendant que Blacky Black envoie la dédicace à DJ Elbino. C’est au tour de Jo Popo et de Boss One du 3e œil de prendre le mic. Ça sonne le retour de « Marseille et sa production signore » ! Le public se déchaîne sur « Hymne à la Racaille », « Si triste » : les puristes sont servis.

La vie de rêve, 3e Oeil

On devine à l’arrivée de Djel que la scène va s’emplir de l’âme de la FF. Pourtant, l’artiste à ses côtés laisse transpirer une tout autre ambiance : on reconnaît bien les sons funkys si distinctifs de Mofak.

Sat arrive et « En mémoire de ceux qui nous ont quittés », « réclame le silence ». Puis le MC à l’origine de la soirée nous explique : « Je ne savais pas dans quoi je me lançais. Je ne savais pas si les artistes et le public répondraient présents »…

Pourtant, le concert était complet en moins d’une minute et la qualité du plateau en dit long sur l’implication des artistes dans le projet.

Sat débute son show par le titre avec Mofak, “Hold Up”. Puis, sur le second morceau, il est rejoint par des danseurs de la célèbre école Cre’scène 13. Il revisite ensuite l’alphabet avec son « Abécédaire », enchaîne avec « Bad Boy de Marseille », puis scande, accompagné par les briquets allumés du public, quelques anciens textes criants de vérité et d’actualité repris quelques jours avant par La Provence :

Quelques minutes plus tard, Surprise : Menzo rejoint Dj Djel et Sat. Nous voilà donc en compagnie de trois artistes sur cinq de la Fonky Family. Un ou deux titres plus tard, Faf, K.Rhyme, et 3e Œil les rejoignent pour interpréter le « Retour du Shit Squad ».

Puis, seconde surprise, et de taille, Vincenzo des Psy4 De La Rime ainsi que Demi Portion viennent compléter l’équipe FF pour nous offrir une version d’« Art de Rue » inédite. Une version où Sat, Menz, Vinc et Demi P lâchent les couplets d’origine sur la prod balancée par Dj Djel : instant exceptionnel !

Fonky Family, Marginale Musique

R.E.D.K. prend la suite, escorté de son crew Carpe Diem (L.O., Picrate, Teddy & Reso). Ils débutent leur apparition avec verve. Tout est calibré et rodé. Les titres s’ensuivent : « Iceberg », « Meskine », « Tranquille ou quoi », pour finir sur « M.A.R.S. Music », morceau sur lequel s’invitent Vincenzo et Sat tant l’énergie est palpable.

R.E.D.K., Mars Music

La dernière à faire son apparition est l’icône de l’engagement et de la revendication de la cité phocéenne : Keny Arkana. À son arrivée, l’ambiance est à son comble. Elle dicte un morceau spécialement écrit pour l’occasion, enchaîne avec « Madame la marquise » puis s’allie à Kalash l’Afro et Relo (anciennement Napo) ainsi qu’à R.E.D.K.

Ses titres sont repris à l’unanimité par le public. Elle tente de ne pas parler politique, mais le public n’aide pas, les « Gaudin Assassin » surgissent de toute part. L’ambiance est brûlante, la rage du peuple se fait entendre. Dj DRK a quitté ses platines pour jumper aux côtés de Keny.

Keny Arkana, Madame la marquise

Ce soir, c’est d’ailleurs l’anniversaire de cette demoiselle aux tendances altermondialistes. L’ensemble des artistes est revenu sur scène, et avec le public, pousse la chansonnette pour lui souhaiter le meilleur. C’est également le moment des discours. On pense aux victimes, on souhaite que la rénovation ne soit pas uniquement celle des façades mais les structures complètes des bâtiments. Le moment des adieux arrive, on se salue, et se donne rendez-vous aux manifs. Ce concert en mémoire des victimes du 5 novembre était mémorable, mais ce n’est qu’une étape, il faut garder les rênes en main et porter nos voix plus haut, toujours plus haut.

Photo prise par Florian Lalanne
Documentaire « Marseille NOVEMBRE 2018 : Récit d’une ville qui s’effondre » réalisé par La Rabia del Pueblo

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster du Magazine.
Passionnée de HipHop français et de musique à textes, en charge de la partie rap du magazine depuis mes 11ans.
Chargée de communication à mon compte et chef de projet Web à Oxatis.
Projet perso en cours : www.omega-13.fr

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