Même dans nos pires cauchemars on aurait été incapables d’imaginer six mois sans concert, sans musique live. Avec le confinement, puis les restrictions liées à la crise sanitaire, les loisirs ont pris un coup. L’industrie musicale a été mise sur pause, les artistes n’ont pu se dévoiler qu’à travers leurs écrans. Nous voilà donc depuis plus de 180 jours, privés de vibrations, de fosses en furie, de moments de partage face à une prestation scénique.

Il est donc temps de mettre un terme à cette tyrannie.

L’équipe du Molotov est connue pour sa persévérance et son engagement. C’est donc sans surprise que nous apprenons que le premier « concert officiel » sera organisé par leurs soins, à l’Espace Julien.

Jour J : 1er octobre 2020, au programme : 300 places assises au lieu de 1000 debout.

On arrive. Avant même l’inévitable fouille par les vigiles, on nous rappelle les gestes barrières. En entrant, le lavage des mains au gel hydroalcoolique est obligatoire pour tout le monde. On nous rappelle, de nouveau, la nécessité de respecter les mesures : ne pas se lever pendant le concert, ne pas enlever les masques. L’enjeu est de taille : si nous souhaitons que les concerts reprennent, il faut être irréprochables. On ressent la pression des organisateurs. Tout est carré, tout est bien fait.

Au passage devant le café Julien, le bar au sein de la salle de concert, on constate avec tristesse qu’il est fermé, comme l’ensemble des bars marseillais. Pour se désaltérer, seul le robinet des toilettes est accessible. Tristesse, le concert se fera sans boisson et sans entracte pour éviter les mouvements de foule.

Une fois à l’intérieur, le personnel nous emmène à notre place. Chaque groupe de personne est séparé par une place vide. Tout est calme, l’émotion se fait ressentir. Ambiance étrange, rien ne s’apparente pas à ce qu’on connaît. Parallèlement, l’attente est énorme : ce concert, on en a besoin !

Peu de temps après s’être assis, le son surgit et nous coupe le souffle. Les basses résonnent, ça prend au trippes. Rien ne remplacera les basses d’une salle de concert. On avait perdu cette sensation. C’est puissant, ça fait un bien fou.

Puis, la lumière laisse doucement apparaître la rappeuse Namek issue du cours Julien. Elle entame ses rimes. Le rap et la trap sont son baba. Sa forte personnalité est sans doute le résultat de ses origines russes, marocaines et polonaises. Loin d’être timide, cette artiste enchaîne les morceaux jusqu’à son titre réalisé dans le cadre de l’OM Session, pour finir par un morceau dédié à la mort de Zineb. Ce titre avait également été interprété au Dock des Suds, lors de la soirée de soutien aux sinistrés de la rue d’Aubagne. Elle était accompagnée de Rager qui interviendra plus tard dans la soirée.

Namek est une des chanceuses qui a réussi à faire quelques scènes cet été, notamment lors de l’événement « Zouzs de talent » organisé par Air Sancho Club.  Verdict de ces deux scènes ? La curiosité nous ronge : on aimerait savoir ce que rendrait sa voix au naturel, légèrement rauque, sans être camouflée par des effets autotunés.


En attendant l’artiste suivant, l’esprit vagabonde. C’est tout de même étrange d’être assis. On a envie de se lever. On est frustré de ne pas pouvoir. Mais, pour se venger, on cris plus que de coutume.

La réflexion cesse vite. L’Amir’Al DeLaZone est déjà sur scène. (Découvrez son interview faite quelques mois plus tôt). En guise d’introduction il nous lâche : « Les concerts en prison assis je trouvais ça étrange. Aujourd’hui, c’est pareil ! Mais bon… au moins on pourra repartir debout, ce n’est pas le téléthon. » Il enchaîne avec ses textes, parce que L’Amir’Al, c’est surtout des textes posés et travaillés. On sent l’appétence pour la langue française, la verve, la prose. Il est accompagné par Youss Kétama, son DJ. Tous deux sont rapidement rejoints par Carlito Brigante, collègue de l’Amir’Al. D’ailleurs, faute d’avoir été prévenu plus de 48h avant le concert, une vraie préparation n’a pas pu se faire. L’Amir’AL a donc oublié quelques-uns de ses textes, mais s’est vite rattrapé. « À défaut de vendre du rêve, on vend de l’art ». Pour s’excuser, il nous a offert un de ses nouveaux couplets, en exclusivité. La prod, speed et pressante, si ce n’est oppressante, est une vraie tuerie. Dessus, les textes de l’artiste qui la sublime. Puis les morceaux s’enchaînent, plutôt dictés par Youss Kémata.

La salle semble complète : le public, assis et d’autant plus à l’écoute des textes, se fait surprendre par l’arrivée de Rager Akolyts et Dj Sami. Ce dernier nous prouve en quelques secondes que c’est un as du scratch. C’est la première fois qu’ils jouent ensemble, la symbiose est présente, on ressent le professionnalisme. Cela fait plusieurs fois qu’on voit Rager lors de concerts et qu’on se dit «cet artiste-là, faut aller le réécouter». On profite donc de ce format atypique pour analyser. Une nouvelle fois, même verdict : cet artiste mérite qu’on aille découvrir son univers. De base, il est graffeur. Ses influences ? Les anciens, les pionniers. Il a écrit son premier texte à l’âge de 13 ans. On ressent les références et l’entraînement. Habituellement, il est accompagné de DJ Loconels qui n’a pas pu être parmi nous ce soir. Tout au long de ses morceaux, on constate que le flow est régulier, ce sont les prods qui varient : certaines fois, elles sont plus jazzy. Comme l’Amir’Al, Rager décide de nous offrir un de ses nouveaux morceaux.

On attend maintenant le groupe principal : Ausgang. Synthé, guitare, basse et batterie attendent patiemment depuis le début du concert leurs musiciens. L’heure a sonné.

Casey, assise, se dresse. Sous ses allures masculines et charismatiques, elle est impressionnante. Démarrage en toute puissance, elle envoie. Coffre, rage, niac, énergie : on reconnaît le phrasé endémique de l’artiste. Elle a l’art de poser les mots et de les imposer avec hargne. Avec cette fois, un côté rock bien trempé. Au refrain : ça gueule ! On se croirait presque au sein d’un concert métal où, la tête en bas, elle envoie ses cheveux en avant, et débite sa verve. Ce style lui va comme un gant. C’est affirmé, abouti, ça donne une vraie consistance à ses textes. Enjolivé par la guitare/basse de Marc Sens, les machines de Manusound et la batterie de Sonny Tourpé, on est conquis. Le style est singulier, l’identité reste indemne, l’ensemble est cohérent.  Alors qu’on aurait pu certaines fois trouver son rap trop brut ou trop énervé, au sein de cette nouvelle composition artistique, Casey trouve pleinement sa place. De notre côté, on est assis, figés par ce qu’elle dégage. La musique est au service du texte tout comme l’inverse.

Elle finit par nous dire « Bonsoir ». On ne s’y attendait plus, elle était bien trop occupée à « incarner » ses morceaux. « J’avais besoin de garder mon souffle ». Effectivement pour ce type de concert, il en faut ! Il est 22h38 : Casey abat ses morceaux avec une puissance hallucinante. On arrive sur les plus connus. Elle entame ensuite les remerciements avec humour pour finir par le titre « Bâtard ». C’était son 4e concert avec Ausgang, elle espère pouvoir continuer malgré le contexte.

Le concert est donc terminé, le public reste docile et se dirige intelligemment vers la sortie sans passer par l’habituelle phase « troupeau » inévitable à la fin d’un concert.

Le concert s’est donc déroulé dans le plus grand respect des règles sanitaires. On espère que, de cette manière, les lives puissent reprendre. L’enjeu est énorme tant pour ce secteur d’activité que pour le maintien psychologique du public.

Tout comme on nous autorise à aller au travail les uns à côté des autres avec un masque, nous espérons que les autorités nous autoriseront aussi à nous détendre dans les mêmes conditions. La culture ne doit pas endurer plus que les autres secteurs d’activités.

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR :

Léa Sapolin
Rédactrice en chef adjointe et webmaster d'Extended Player. Amoureuse du rap français et des bonnes punchlines, je pilote la section rap du mag depuis que j’ai 11 ans (oui, déjà !). En parallèle, je suis communicante freelance et chef de projet web, avec une expertise en e-commerce. Toujours connectée, toujours à l'affût des sons qui parlent et qui touchent !

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