N’avez-vous jamais ressenti le poids d’une journée indésirable se répétant à l’infini ? Des journées quasiment identiques qui s’exécutent sans vous demander votre avis ? Puis un vide en vous qui se creuse et procure de fades émotions ? Tout comme Bill Murray dans « Un jour sans fin », Archy Marshall semble ressentir cette routine depuis le début de sa carrière se manifestant en une boule à l’estomac. Il ne déroge pas à la règle avec son album très attendu Man Alive!.
Connu et reconnu pour sa voix écorchée et son timbre à la limite de l’agréable, le chanteur britannique King Krule (aussi nommé Archy Marshall) a fait son bout de chemin depuis la parution de son premier album 6 feet beneath the moon en 2013. Dès ses premiers essais, il aborde un style propre à lui avec de lourds accords de guitares pour étoffer sa voix opaque. S’agrémente à cela une multitude d’instrument allant des synthétiseurs ainsi que par ce fameux saxophone qu’il intègre en permanence. Après un deuxième album tout aussi réussi répondant au nom de The OOZ, nous le retrouvons trois ans plus tard pour Man Alive!, un album qui poursuit la route déjà tracée par King Krule tout en agrémentant de nouvelles textures.
Man Alive!, si elle est bel et bien une pièce unique qui se suffit à elle-même, semble cependant ancré dans la continuité de The OOZ. Krule a toujours le cœur brisé, par une femme d’abord, mais également par le monde. Une quête de bonheur qui se traduit par une envie de se reconstruire en un homme comblé, une chose paraissant impossible tellement une brume grisâtre se contorsionne tout autour de lui. Ce brouillard se retrouve dans ces instruments qui se percutent par des guitares si aiguës qu’elles se confondent avec des sirènes de police. Car malgré les rythmes particulièrement entraînants qui nous sont proposés, l’ensemble de l’album reste beuglard. Si Archy sait rugir comme sur Stoned Again, ce sont principalement des bruits extérieurs qui viennent nous percuter les tympans. Nous ressentons l’oppression d’une capitale bondée de monde qui grouille de toute part. Cela se traduit par un téléphone qui sonne avec impertinence dans Alone, Omen 3 ou bien un moteur qui ronfle dans Theme for the Cross.
Il faut dire qu’une période notre civilisation n’arrête pas d’obséder notre chanteur. Celle de l’après-guerre, celle où l’industrie se portait à merveille avec le début de la technologie, des trains qui circulent en continu, des épiceries qui se transformaient en supermarchés. Cela expliquerait son attrait pour cette French girl qui passe en boucle sur son téléviseur dans Cellular, introduction du disque avec une guitare intrépide. Lorsque qu’Archy perd connexion avec cette femme, il accuse les câbles déficients qui n’alimentent plus assez le poste. Une perte de signal donc. Un autre appareil rétrofuturiste s’ajoute à l’œuvre : l’avion. Synonyme d’échappatoire, mais aussi d’un sentiment insignifiance face à ce monde lorsque l’on jette en œil au hublot. Airport Antenatal Airplane vient exprimer ce mal-être, celui qu’il avait déjà commencé à traiter dans The OOZ (la pochette affichait une traînée de condensation au rouge pastel).
En dehors de ces thématiques qui servent de réceptacles pour exprimer son spleen, l’artiste s’est encore une fois enfermé dans son laboratoire musical pour explorer de nouvelles textures. Sa voix n’est là que pour renforcer un rythme déjà instauré par le patchwork de mélodie. Car si l’album peut-être bruyant, ce sont aussi de longs silences qui s’étendent avec des cymbales qui prennent le temps de s’éteindre, ou des cordes de guitares qui n’hésite pas à se faire remarquer. Notamment dans la deuxième partie de l’album où le chanteur se veut plus discret, mettant le saxophone comme chef de rang. L’instrument à vent ne cherche pas à s’égosiller, mais plutôt à faire entendre ses larmes coulées, de joie et de peine. Lorsque le disque vient à sa conclusion, Marshall se sent narguer par la lune qui, d’en haut, vient renforcer cette idée que la vie est si ridicule qu’elle en devient hilarante. Ces balades nocturnes qui ponctuent le l’album sont là pour appuyer cette affirmation. Dans l’épilogue Please Complete Thee, Krule ne paraît pas vraiment guéri. « The place doesn’t move me », déclare-t-il avec les dernières brises d’air qui lui reste.
Presque comme une suite à son album précédent, Archy a toujours le mal du monde, et il est difficile d’y trouver une quelconque lueur d’espoir. À moins que ce décor inadéquat ait des vertus insoupçonnées : celles de pouvoir l’inspirer pour offrir une œuvre hautement personnelle, mais assez imprécise pour que l’on puisse se reconnaître dedans. Malgré un manque de renouveau, de risque comme sur ses autres œuvres, Man Alive! reste qualitatif et transmet toujours une émotion inconfortable qui comble nos instants de vide indésirables.
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