On dirait un disque de guerriers, une avancée de combattants à l’assaut… d’un idéal. Celui de Louis Delgrès, colonel d’infanterie de l’armée française qui, en 1802, lorsque les troupes napoléoniennes venues rétablir l’esclavage dans les Antilles françaises, a respecté la devise « Vivre libre ou mourir », préférant la mort à la captivité dans sa lutte contre l’esclavage. Là se trouvent les racines de Pascal Danaë – dont nous vous avons déjà parlé avec la chronique de l’album de Rivière Noire, son groupe précédent, il y a quelques années. Le projet Delgrès s’est construit petit à petit, à partir de la guitare dobro, instrument marquant, signature officielle de cet album, symbole du blues et de ses origines historiques. Pascal Danaë, lorsqu’il en joue, convoque naturellement la langue créole qui remonte de son enfance, comme partant à la conquête difficile d’une identité perdue. Il associe les talents de batteur de Baptiste Brondy, qui officiait déjà avec Rivière Noire. Puis se dit que, plutôt qu’une basse, un sousaphone ferait beaucoup mieux l’affaire, comme dans les fanfares de carnaval aux Antilles ou à la Nouvelle-Orléans. Ce sera Rafgee, trompettiste diplômé du Conservatoire de paris qui va rejoindre les deux hommes pour créer un authentique power-trio, mot qui prend ici toute sa consistance. Il faut les voir sur scène. Trois hommes de front, utilisant leurs instruments comme des armes de paix, imposant une musique concentrée, compressée, définie. « Mo Jodi » (soit Die Today ou Mourir Aujourd’hui) en fer de lance du répertoire, assoit un style identifiable qui ne va jamais lâcher le groupe. L’énergie semble être un liant, tel un fluide magique. Envie de comparer Delgrès à Nirvana, tant la forte personnalité impose une osmose consubstantielle. Un trio dont l’unité s’impose à tous les niveaux, visuel, musical, philosophique. Les trois bandes sur lesquelles se découpent le profil des musiciens sur la pochette de l’album, se retrouvent en fond de scènes pour des projections, lors des concerts. Comme un symbole d’inséparabilité. Depuis que le disque est sorti, Delgrès a roulé sa bosse, fait ses preuves en séduisant très largement un public grandissant. Si l’album ressort aujourd’hui, augmenté de cinq nouveaux titres, c’est que l’histoire s’est enracinée et que l’arbre est en pleine vitalité créatrice. Chaque titre est construit sur un gimmick que fait tourner Pascal Danaë sur son dobro, gimmick simple en apparence, mais faisant mouche à chaque fois. La puissance de celui que l’on peut entendre sur « M. President », « Can’t Let You Go », « Respecte Nou » ou évidemment « Mo Jodi ». Mais aussi avec beauté et magie, comme cela est le cas pour « Chak Jou Bon Die Fe », ou sur le sublime « Pardone Mwen », ou encore « Toujou Eve Mwen ». Idem pour le final « Se Kon Sa » qui clôture cette nouvelle version de l’album de cette remarquable couleur électrique. Plaisir supplémentaire avec deux duos : « Sere Mwen Pli Fo » avec Skye Edwards de Morcheeba, et un seconde version de « Vivre Sur La Route » avec Jean-Louis Aubert. Ce disque-là va rester très longtemps tout à côté de la platine. Il tourne déjà en boucle toute la journée grâce au smartphone…
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